Gatineau invitée à taxer les bâtiments polluants pour réussir sa transition énergétique

Gatineau doit-être taxer les immeubles les plus polluants?

L’heure est-elle venue pour Gatineau d’avoir une approche plus rigide dans sa lutte aux émissions de gaz à effet de serre (GES)? Doit-elle tout faire pour empêcher les nouveaux branchements au gaz sur son territoire en taxant les bâtiments plus polluants? Bien des experts réunis à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) dans le cadre d’un panel sur la transition énergétique croient que oui.


La mairesse de Gatineau, France Bélisle, affirme que la Ville n’est pas prête à réglementer en la matière, mais ajoute qu’il faudra avoir «une réflexion» ses elle souhaite atteindre ses cibles [réduction de 35% d’ici 2030 et carboneutralité d’ici 2050].

D’après les derniers chiffres de la Régie de l’énergie, les branchements au gaz doublent d’année en année dans la région. Ils sont passés de 234 en 2017 à 711 en 2019 et Gazière poursuit l’expansion de son réseau à Gatineau et Chelsea. Thurso est aussi dans ses cartons.



Les branchements au gaz ont doublé d'année en année en Outaouais.

«Ça n’a aucun sens, aucun nouveau bâtiment à Gatineau ne devrait être chauffé au gaz naturel aujourd’hui, lance Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal. On peut bien y mettre un peu d’hydrogène vert et de gaz naturel renouvelable, à la fin ça restera massivement du gaz, donc des émissions de méthane. […] Ce n’est pas ça qui nous amènera à la carboneutralité.»

M. Mousseau estime qu’en activant les leviers à sa disposition, la Ville de Gatineau serait en mesure de décarboner son parc immobilier en dix ou quinze ans. Une municipalité est toutefois limitée dans les actions qu’elle peut prendre en matière de gestion d’énergie, mais rien ne l’empêche de se doter d’une réglementation favorisant des bâtiments qui sont à zéro émission de GES.

Pier-Olivier Pineault, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, est aussi d’avis que les villes comme Gatineau doivent s’engager dans l’amélioration énergétique des bâtiments. Cela pourrait prendre la forme d’une cotation des immeubles en fonction de leur performance énergétique. «Les villes ne peuvent pas imposer des normes de construction, mais elles ont le droit d’utiliser la taxation pour imposer des bonus ou des malus sur les bâtiments plus ou moins performants», dit-il.

Approche «bâton»

L’époque de la «carotte» tire à sa fin selon M. Pineault. Une approche un peu plus «bâton» devient nécessaire. «Après un certain temps, il doit y avoir des conséquences financières si les gens ne font pas la transition, insiste-t-il. On est pressé. On ne peut pas attendre que tout le monde le fasse de façon volontaire.»



Ce genre de réflexion reste largement à faire à Gatineau. La mairesse Bélisle souligne toutefois que lorsque la Ville «construit ou rénove des infrastructures», elle le fait avec ses cibles de réduction de GES en tête. Elle ajoute que de convertir la totalité d’un parc immobilier à l’électricité, à l’heure où le Québec met la pédale sur l’accélérateur dans l’électrification de ses transports, doit se faire en étant conscient des enjeux que ça représente pour la capacité d’Hydro-Québec.

Le stress de la pointe

À ce chapitre, la directrice clientèle affaires et solutions énergétiques chez Hydro-Québec, Sabrina Harbec, admet que le mouvement vers l’électricité qui s’observe présentement dans la province n’est pas sans représenter des enjeux importants pour la société d’État. «Oui, le mouvement vers le 100% électrique est super, mais il faut prendre conscience des effets sur la pointe si on veut réussir collectivement», a-t-elle indiqué.

Hydro-Québec est de plus en plus préoccupée par les pointes de consommation. Les grands froids du début du mois ont mené à des records de consommation. Le réseau n’est pas le seul à être stressé. «Ça nous stresse la pointe parce qu’on le voit globalement, explique Mme Harbec. Si on veut réussir la transition énergétique, c’est cette partie-là qu’il faut apprendre à réduire le plus possible. C’est pour ça qu’on parle de sobriété énergétique.»

Le mouvement rapide vers l'électrification représente des enjeux pour Hydro-Québec

Hydro-Québec dit chercher des solutions pour réduire la consommation lors des périodes de pointes. Pour l’instant, la société d’État privilégie un mixte énergétique. «Le gaz naturel en fait partie, note Mme Harbec. En adoptant la biénergie, on peut réduire de 70% nos émissions de GES.»

Normand Mousseau critique vivement la position d’Hydro-Québec. «Le plan d’Hydro n’est pas aligné avec la vitesse de la transformation nécessaire pour atteindre les objectifs qu’on se fixe, dit-il. Quand on signe des ententes pour garder le gaz naturel dans les réseaux, c’est qu’Hydro ne fait pas sa job et ne joue pas son rôle de locomotive. Hydro a plutôt les deux pieds sur les freins actuellement.»