Honnêtement, j’ai toujours boudé les propositions ÉPQ, je ne me souviens pas d’avoir écrit là-dessus. J’ai eu tort.
Les produits en question sont intéressants à plus d’un titre. D’abord, je dois reconnaître qu’ils ont offert par le passé des rendements plus qu’honorables pour des placements destinés à procurer la tranquillité d’esprit. La qualité de leur mise en marché (lire «marketing») mérite aussi d’être soulignée. Ils nous permettent enfin d’aborder le merveilleux monde de l’ingénierie financière.
L’ami, donc, envisage l’achat d’obligations à rendement progressif et, surtout, d’obligations boursières d’ÉPQ. Une «obligation boursière»… En français, cela s’appelle un oxymore, une figure de style qui consiste à réunir deux mots contradictoires. C’est comme si je vous disais qu’un joueur de pipeau interprétait l’œuvre de Metallica en concert au Centre Vidéotron.
ÉPQ procède à une émission d’obligations boursières tous les trimestres, si je comprends bien. Celle qui a cours actuellement se termine le 15 mars. Voici comment ÉPQ présente la chose, sur son site Internet. «Le rendement maximal du terme de 10 ans, habituellement fixé à 100 %, passe à 400 %! Le rendement maximal du terme de 5 ans, habituellement fixé à 40 %, passe à 100 %!»
Les rendements du produit sont basés sur l’Indice Québec 30, soit les 30 plus grandes entreprises inscrites à la Bourse de Toronto ayant leur siège social à Montréal.
ÉPQ précise que le rendement maximal sur les obligations de 10 ans (400 %) équivaut à un rendement annuel composé de 17,46 %. Moi, je lis ça, et j’ai envie de congédier mon gestionnaire de portefeuille et de placer toutes mes billes dans des obligations boursières. L’ami se dit aussi que ça ressemble à la planque idéale pour son bas de laine, à 10 ans de la retraite.
Tut tut tut!
D’abord, corrigeons un ou deux éléments du message. Le rendement maximal n’est pas «habituellement» de 100 % sur les obligations boursières de 10 ans. Ce serait plus juste de dire qu’il est «habituellement» illimité. Un plafond de rendement a été imposé en juin 2021, avant il était sans limites. Aucune des émissions réalisées depuis 2002 ne s’est approchée d’une performance de 400 %, malgré l’absence de plafond. Celles qui arrivent à échéance le mois prochain auront livré un rendement total de 145,93 %, soit 9,57 % par année, ce qui est très bon.
D’un point de vue marketing, la limite comporte un avantage, car elle permet d’établir un repère, de marquer l’esprit, chose difficile sans un maximum. Personne ne croirait en la possibilité d’un gain infini.
Mais comment ça fonctionne? Pour comprendre, j’ai fait appel à Christophe Faucher-Courchesne, expert-conseil au Centre d’expertise chez Banque Nationale Gestion Privée 1859. Pourquoi lui? Parce que le gars est détenteur d’un bac en physique et d’une maîtrise en ingénierie financière. Accessoirement, il joue du saxophone (et non du pipeau), et par-dessus ça il est sympathique.
«Ailleurs, on appelle ce type de produit “billet lié” ou “billet structuré”, c’est partout le même principe», commence-t-il.
Supposons que j’achète pour 1000 $ d’obligations boursières de 10 ans. Le capital est garanti, mais pas le rendement. L’institution émettrice prend mon 1000 piastres et, en retenant comme hypothèse que les taux obligataires de 10 ans s’élèvent à 4 %, elle va se procurer pour 675 $ de vraies obligations. Au bout de 10 ans, avec les intérêts accumulés, elles vaudront 1000 $. C’est le montant que je suis assuré de récupérer à la fin.
Il reste 325 $. «Cette somme sert à acquérir des options d’achat portant sur l’indice, ce qui permet à l’investisseur de participer à la hausse de l’indice, si elle a lieu», explique Christophe Faucher-Courchesne .
Je reviendrai vous expliquer tout ça en détail quand j’aurai moi-même compris la mécanique des options d’achat impliquées dans l’affaire. L’expert affirme que ces produits dérivés réussissent assez bien à capter l’augmentation de la valeur de l’indice et en faire profiter l’épargnant. Il souligne par contre que la plupart des entreprises composant l’Indice Québec 30 sont des sociétés matures qui versent des dividendes réguliers, et que ces revenus échappent aux détenteurs des obligations boursières. Selon lui, cela représente environ le tiers du rendement total. Autrement dit, la paix d’esprit a un prix, il est là.
Pourquoi Épargne Placements Québec a-t-elle récemment instauré des rendements maximaux sur ses obligations boursières de 10 ans, et pourquoi les a-t-elle relevés un peu par la suite (de 100 % à 400 %)?
Parce que les taux obligataires étaient très bas durant la pandémie, ce qui faisait en sorte que, lors du montage financier, il restait moins d’argent pour acquérir des options d’achat. «En plus, quand le marché boursier est volatil comme c’était aussi le cas, les options coûtent plus cher», souligne l’ingénieur financier.
Oui, je suis conscient d’avoir franchi la limite de ce qui est nécessaire de savoir pour décider d’y mettre son pécule ou non. Et encore, je crains d’en avoir perdu quelques-uns en chemin. Poursuivons.
Aussi loin que je puisse remonter, les performances des obligations boursières d’ÉPQ ont rarement été très décevantes. Ces produits comportent quand même certains défauts. D’abord, les sommes y sont immobilisées durant une décennie, sans possibilité d’utiliser son argent pour profiter d’une meilleure occasion qui pourrait se présenter. Surtout, leurs rendements restent inconnus avant l’échéance.
Par ailleurs, il faudrait être des plus malchanceux pour ne pas récupérer son capital initial au bout de 10 ans avec un investissement direct dans l’Indice Québec 30, une option qui recèle un potentiel plus élevé.
Que faire? Allez-y si ça vous intéresse, mais permettez que je vous rappelle cette perle de sagesse : évitez de mettre tous vos œufs dans le même panier.