Chronique|

Souvenons-nous de Bernard Madoff

La semaine dernière, j’ai englouti Madoff, le monstre de la finance, diffusé sur Netflix.

CHRONIQUE / Devant une classe d’étudiants en journalisme, on m’a demandé la semaine dernière si j’enviais parfois les chroniqueurs de la politique et de l’actualité, des secteurs qui permettent de s’exprimer sur une multitude d’enjeux. 


Si c’est pour me prononcer sur des controverses comme celle autour d’Amira Elghawaby et faire valoir mon opinion parmi celles des 83 autres commentateurs de l’affaire, je n’ai pas trop à me plaindre de ma position. Je préfère radoter tout seul sur le RRQ et les CELI.

J’avoue toutefois qu’il y a des jours où j’envie le chroniqueur télé, là aussi les sujets foisonnent, et ça me donnerait un prétexte pour me goinfrer de séries à gros budget sans culpabiliser. J’arrêterais de lutter contre la force d’attraction de mon divan, qui gagne en puissance à un mois du solstice d’hiver pour se calmer à la fête de la Saint-Patrick.

Eh bien vous savez quoi? Je vais vous faire une chronique télé quand même (une autre!), j’ai reçu le feu vert des patrons. La semaine dernière, j’ai englouti Madoff, le monstre de la finance, diffusé sur Netflix. 

Je connais votre penchant pour les œuvres de type «true crime», c’est justement dans ce registre que se situe cette minisérie de quatre épisodes où s’entremêlent des scènes de reconstitution légèrement éthérées et de vrais témoignages, dont des extraits d’interrogatoire de Madoff lui-même, détenteur du record de la fraude financière. Je vais vous dire, il n’y a rien de plus efficace qu’un uniforme de prisonnier et une lumière crue pour démythifier un personnage.

Les récits de magouilles économiques de ce type sont toujours plus intéressants que les documentaires de meurtriers en série, car les victimes ne subissent pas à 100 % la violence, ils participent en partie au méfait, jusqu’à devenir complice. L’escroquerie de Madoff s’apparente plus à ces histoires non moins fascinantes de gourous qui, par leur magnétisme et leur talent de manipulateur, parviennent à brouiller le jugement pour embrigader des fidèles.

Ici, ce qui rend la chose plus captivante encore, c’est qu’une partie des victimes sont du milieu financier, donc des personnes averties et rationnelles, mais qui ne souffrent pas moins, et probablement plus, d’une faiblesse qui nous afflige tous : l’insatiable appétit pour l’argent.

Je ne vous relaterai pas tous détails, ça enfreindrait les codes du chroniqueur télé, mais rappelons tout de même que Bernard Madoff est à l’origine de la fraude de type Ponzi la plus gigantesque de l’histoire, qui a explosé en 2008. L’ampleur est hallucinante, quelque chose comme 65 milliards de dollars (G$), un montant qui comprend les rendements fictifs. L’argent récolté auprès d’investisseurs s’élève à quelque 19 G$, selon mon souvenir. On parle de dollars US. 

Le stratagème Ponzi est assez rudimentaire. Le fraudeur attire les capitaux des clients vers un soi-disant fonds d’investissement, et l’argent des derniers investisseurs sert à payer les plus anciens qui retirent leurs rendements et une partie de leurs capitaux. Le subterfuge se maintient aussi longtemps que l’argent frais entre et que les décaissements restent limités. Inexorablement, un système Ponzi est appelé à s’effondrer, mais on reconnaît le talent de Madoff dans sa capacité à faire rouler son affaire durant des décennies. N’eût été la crise financière de 2008, l’escroc aurait pu continuer son manège encore des années, favorisé par l’aveuglement de la Securities and exchange commission (SEC) et par un réseau international de rabatteurs plus ou moins de connivence. 

Ce qui est «magnifique» dans ces événements, c’est que les clients de la première heure semblent avoir compris le stratagème tout en fermant les yeux, car ils profitent encore plus de la situation que le fraudeur lui-même. Un d’entre eux exerce une pression sur Madoff en retirant juste ce qu’il faut de capital pour faire trembler l'entreprise. Il y a quelque chose de jouissif à voir deux escrocs de haut calibre engagés dans un combat subtil où personne ne peut abattre l’opposant sans courir le risque de tomber à son tour. Autant dans la structure du crime que dans la psychologie des protagonistes, on se trouve à quelques niveaux de complexité au-dessus des policiers sur les traces d’un psychopathe qui découpe ses victimes. C’est plus raffiné, disons. 

Mais comment ce type, un autodidacte parti de rien, a-t-il pu parvenir à échafauder une arnaque aussi monstrueuse? En entretenant la confiance de ses clients, tout repose là-dessus. C’est beau à voir. D’abord, en exploitant une firme innovante et légale qui agissait comme intermédiaire de marché, ce qui a permis à Madoff de participer à la mise sur pied de la bourse électronique Nasdaq et de siéger sur des comités de la SEC. 

Il opérait son fonds d’investissement en parallèle, sans faire de publicité. Il promettait à ses clients des rendements stables et élevés. Son personnel, plus ou moins au courant de ce qui se tramait, s’employait à produire de faux états de compte, avec des détails de transactions fictives, réalisées à rebours (comme si on connaissait d’avance les résultats de la loterie). Bernard Madoff n’a jamais investi l’argent de ses clients, il ne faisait que le récolter, en retourner une partie, et dépenser le reste. 

En investissement, il est impossible de générer des gains de 10 % à 15 %, année après année. Tout le monde sait ça à Wall Street, mais un paquet de gros bonnets de la finance et des petits épargnants se sont quand même laissés éblouir par les promesses de Bernard Madoff. Plus la fraude dure longtemps, plus la formule paraît éprouvée. Les rendements de son fonds ont fini par soulever une méfiance grandissante dans le milieu. Mathématiquement, les performances étaient impossibles. Les clients se trouvaient tellement engagés dans l’entreprise du fraudeur qu’ils ne pouvaient même plus admettre l’évidence, il ne leur restait plus qu’une option : croire aux miracles. 

Madoff, le monstre de la finance, à voir parce que c’est captivant, mais surtout parce la série nous rappelle que lorsque c’est trop beau pour être vrai, bah c’est trop beau pour être vrai.