«Traître! Comment un chroniqueur de finances personnelles peut-il suggérer l’abolition du compte enregistré le plus payant de la galaxie? Chérie, viens voir! Germain est tombé sur la tête.» Je vous entends, particulièrement les grands-papas et les grands-mamans qui veillent à garnir le régime enregistré d’épargne-études (REEE) de leur postérité.
Je pense aussi à l’ami Pierre-Yves McSween, pour qui le REEE représente la 8e merveille du monde.
Je persiste : tuons-le (le REEE, pas McSween).
Je ne remets pas en cause l’objectif du régime. Il vise à inciter les parents à épargner en vue des études postsecondaires de leur progéniture. Par là, on veut favoriser l’accès à l’éducation supérieure au plus grand nombre possible, pas seulement aux ménages qui en ont les moyens.
Je vous rappelle les grandes lignes.
N’importe quel adulte peut ouvrir un REEE au bénéfice de n’importe quel enfant. On s’entend, c’est surtout une affaire de famille. Les cotisations annuelles donnent droit à des subventions de 20 % en provenance du fédéral et de 10 % de la part du provincial. Chaque année, elles sont plafonnées à 750 $, avec une limite cumulative de 7200 $, par enfant. Ces subventions sont un peu plus généreuses pour les ménages à faibles revenus.
Les cotisations et les subventions fructifient à l’abri de l’impôt, le REEE permet les mêmes types de placements qu’un REER ou un CELI. Les rendements seront imposés plus tard, entre les mains de l’étudiant. Il n’y aura donc pas d’impôt, ou très peu, à payer. Le bénéficiaire touchera également les subventions. Quant aux cotisations, les parents peuvent en faire ce qu’ils veulent.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral offre aussi le «bon d’études canadien» (BEC) aux ménages à faible revenu. Ça consiste en une aide supplémentaire de 500 $ la première année, et de 100 $ les années subséquentes, pour un total de 2000 $. L’aspect intéressant du BEC, c’est que les parents n’ont pas à déposer un sou dans le REEE, bien qu’ils doivent en ouvrir un.
Voilà le portrait. Et maintenant, qu’est-ce qui cloche?
Bah, c’est un peu le même problème que j’ai soulevé l’autre jour avec le CELIAPP, lequel profitera surtout à des gens qui auraient acheté leur maison de toute façon. Ceux qui tirent le plus parti du REEE, qui récoltent le plus de subventions et qui génèrent le plus de gains à l’abri de l’impôt sont ceux qui n’auraient aucun mal à payer les études de leurs enfants sans l’existence du régime épargne-études.
Les ménages à faibles revenus, pour lesquels le programme offre quelques extras, en bénéficient beaucoup moins. L’écart s’explique en partie par des lacunes en littératie financière, mais le principal facteur repose sur les moyens financiers.
Un dessin n’est pas nécessaire ici, mais je citerai quand même quelques données publiées par Statistique Canada. Un rapport récent (septembre 2022) de l’organisme fédéral souligne que les ménages les plus susceptibles d’investir dans un REEE sont ceux qui gagnent des revenus élevés et qui disposent d’actifs liquides. Par là, on réfère surtout à de l’argent qui dort dans des comptes bancaires ou des placements facilement encaissables. Une maison n’en fait pas partie.
Parmi les familles qui appartiennent à la tranche des 20 % empochant les revenus les plus élevés, plus de la moitié (54 %) détient une «richesse liquide élevée», selon le rapport. Cette proportion diminue rapidement à mesure qu’on descend sur l’échelle de revenu. En bas, les familles qui possèdent principalement des avoirs liquides sont rares (à peine plus de 11 %), et leurs actifs sont faibles. Chez celles-là, les placements en REEE s’élèvent en moyenne à 5600 $. Toujours en bas, 71 % des ménages n’ont pas ou peu de liquidités disponibles, les avoirs à l’intérieur des REEE ne dépassent pas 3000 $ pour eux, en moyenne.
Si on remonte en haut, chez les ménages avec une richesse liquide élevée, le REEE contient en moyenne 29 000 $.
Disons qu’on ne tue pas le REEE, mais peut-on conclure qu’il rate la cible?