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Lâchez-nous avec la Finlande

Pourquoi n’imiterions-nous pas les Finlandais, disent plusieurs, en commençant par abolir le bulletin chiffré? Après tout, les petits Québécois ne sont pas plus sots que les jeunes des autres pays nordiques?

CHRONIQUE / Vous connaissez ce mot d’esprit de l’auteur français à succès Marc Levy? «Un jour, j’irai vivre en Théorie car en Théorie, tout va bien». Pour parler de la controverse du bulletin chiffré à l’école, juste à changer le mot «Théorie» pour Finlande et tout devient facile.


Nous sommes obnubilés par les résultats scolaires des jeunes Finlandais qui, bon an mal an, se classeraient parmi les élèves les plus performants au monde. Or, il n’y a pas de bulletin chiffré en Finlande avant l’âge de neuf ans. L’école commence à sept ans, pas de devoirs au primaire, un repas chaud servi tous les midis, aucuns frais accessoires, des écoles modernes, bien équipées, des enseignants qui aiment leur travail – pas de problème de recrutement et de rétention en Finlande, la profession est aussi valorisée que la médecine – et des enfants heureux.

Pourquoi n’imiterions-nous pas les Finlandais, disent plusieurs, en commençant par abolir le bulletin chiffré? Après tout, les petits Québécois ne sont pas plus sots que les jeunes des autres pays nordiques?

Oh que non!

Meilleurs qu’on ne le croit

Depuis 1997, l’Organisation de coopération et de développement économique, l’OCDE, mène une enquête internationale pour déterminer quels sont les meilleurs systèmes d’éducation au monde. En 2022 (résultats attendus en 2023), 85 pays ont participé à l’étude appelée PISA, ou Programme international pour le suivi des acquis. Tous les trois ans, on administre des tests à des élèves de 15 ans dans le but de comparer les résultats de chaque pays.

Un bulletin chiffré, quoi.

L’étude va au fond des choses. Quatre champs d’études sont maintenant mesurés: la mathématique, les sciences, la compréhension de l’écrit et la pensée créative.

Les tests sont administrés par les autorités scolaires locales pour tenir compte des différences nationales.

L’enquête PISA ne fait pas l’unanimité – rien n’est parfait, sauf en Théorie – mais elle permet néanmoins de mesurer les progrès et les reculs par une méthode standardisée qui repose sur des données historiques, donc mesurables d’étude en étude.

Selon les promoteurs exaltés du système d’éducation finlandais, ce pays se classe tout en haut de la liste, étude après étude. Mais voilà, ce qui était vrai en 2000 et 2003 mais ne l’est plus maintenant. Le dernier classement disponible, celui publié fin 2019 – il n’y a pas eu d’enquête pendant la pandémie – révèle que les pays les plus performants sont en Asie, là où règnent le par cœur, la compétition, la discipline.

En mathématiques, la Chine arrive en premier, suivie de Singapour, Macao, Hong Kong, Taiwan, du Japon et de la Corée du Sud. Le Canada est en 12e place et la Finlande, 16e.

Au Canada, le Québec est premier en maths. S’il était un pays, le Québec se classerait parmi les premiers au monde.

En sciences, la Chine, Singapour, Macao et le Vietnam dominent le classement mondial. Le Canada arrive 9e et la Finlande, 7e. Rien d’embarrassant. Les États-Unis se classent 19e.

En lecture on retrouve toujours la Chine au premier rang; le Canada se classe 6e et la Finlande, 7e.

Ceci vous renversera: la France arrive 24e en lecture. Qui l’eût cru?

On dit souvent que la Finlande performe en éducation parce qu’elle mise sur le plaisir qu’ont les enfants à apprendre. Réjouissons-nous, le dernier PISA nous apprend que 93% des jeunes Canadiens sont heureux à l’école.

Doit-on en déduire qu’au Canada et au Québec, comme en Théorie, tout va bien ? Pas si vite. Même si nos jeunes performent mieux que ne le veut la légende, il reste beaucoup à faire.

Commençons par placer l’éducation au premier rang de nos préoccupations. Oui, avant la santé.

Des états généraux non biaisés, organisés par le ministre Bernard Drainville, un homme d’expérience connu pour son pragmatisme (et sa mèche courte) nous aideraient à y voir plus clair.

Fausses bonnes idées

La gauche et les technocrates de l’égalité à tout prix rêvent d’abolir les écoles privées, comme en Finlande. Et les bulletins chiffrés. C’est plus facile de se débarrasser de ce qui nous embarrasse, les notes et l’excellence, que de s’engager dans la voie difficile de rendre l’école publique aussi performante que le privé, notre comparable à nous. Et pourquoi pas ? Mais pour y arriver, il faudra investir massivement pour que tous les élèves, surtout ceux en difficulté, aient accès à des services sur mesure et pas seulement de les mettre dans des classes dites «normales» sans soutien pour les enseignants aux prises avec des problèmes de comportement pour lesquels ils n’ont pas été formés.

Et se demander tant qu’à y être pourquoi il y a autant d’enfants en difficulté dans notre société d’abondance?

Peut-être qu’on ne leur en demande pas assez car manifestement, ils sont meilleurs que la rumeur.

Et pendant que nous plaçons l’estime de soi au cœur du projet éducation, les jeunes Asiatiques, eux, performent et leurs méthodes d’éducation reposent sur des modèles que l’Occident a mis aux poubelles : l’acquisition de connaissances, la compétition entre élèves (et les écoles), le par cœur, les bulletins chiffrés et une discipline de fer.

Et derrière tout cela, des parents engagés jusqu’au cou, parfois même trop. Ici, on oublie que le goût d’apprendre commence à la maison, que l’attitude pro-éducation des parents fait toute la différence.

Mais il y a une chose qu’on doit retenir au sujet de la Finlande: le ministère de l’Éducation ne touche pas à la pédagogie – c’est le rôle de l’équivalent de notre Conseil supérieur de l’Éducation – il n’y a pas de centres de services scolaires et les écoles, propriété des municipalités, bénéficient d’une autonomie impossible à imaginer ici.

S’inspirer des autres n’est pas mauvais mais à condition de garder les pieds dans notre réalité et ne pas se perdre en Théorie.

Lise Ravary est journaliste depuis 40 ans et a tout fait dans le métier, que ce soit à la radio ou dans des magazines et des journaux, de Montréal à Toronto, en passant par Londres et Alexandria, avant de devenir observatrice et commentatrice à temps plein. On peut lire ses opinions dans nos pages deux fois par semaine.