Chronique|

Un pas vers la privatisation du système de santé pour Ford

Volontaire pour réduire l’arriéré actuel pour les interventions chirurgicales et les examens diagnostiques, et aider à désengorger les hôpitaux, Doug Ford se tourne vers les cliniques privées.

CHRONIQUE / L’année 2022 avait commencé par un ultime confinement pour l’Ontario, confronté à une nouvelle vague de COVID-19. Le thème de la santé domine de nouveau ce début d’année. Les difficultés pour les hôpitaux de répondre aux demandes des Ontariens, conséquence en partie de la pandémie, oblige le premier ministre à se démultiplier.


Volontaire pour réduire l’arriéré actuel pour les interventions chirurgicales et les examens diagnostiques, et aider à désengorger les hôpitaux, Doug Ford se tourne vers les cliniques privées. Le gouvernement s’engage ainsi à financer plus de 19 000 opérations supplémentaires de la cataracte dans ce type d’établissements au cours de l’année et 1000 chirurgies gynécologiques.

Dans un second temps, l’équipe conservatrice bonifiera l’offre de services en clinique privée, entre autres pour les examens d’imagerie diagnostique, les colonoscopies et les endoscopies.



Ce virage prend sa source dans le marasme dans lequel sont plongés les hôpitaux: épuisement professionnel dû à la COVID-19, pénurie de main-d’œuvre particulièrement chez les infirmières, et dernièrement saturation des services à cause des virus hibernaux, avec pour résultat le report d’interventions chirurgicales. Une situation explosive qui avait déjà entraîné la fermeture de plusieurs urgences l’été dernier.

Des milliards de dollars d’économie sont en jeu. La gestion des hôpitaux représente environ un quart du budget titanesque de 75 milliards de dollars dépensé cette année financière par le ministère de la Santé en Ontario.

Cette somme colossale avoisine les 40 % de l’ensemble des finances de la province, et augmente considérablement à chaque examen budgétaire en raison du vieillissement constant de la population.

Au fait de l’immensité de l’enjeu, Doug Ford n’échappe pas aux critiques. Plusieurs experts mettent en garde le gouvernement sur les risques d’affaiblir la mission publique des hôpitaux. Dans son rapport annuel en 2021, la vérificatrice générale de l’Ontario avait aussi épinglé les cliniques privées sur les frais injustifiés résultant d’opération de la cataracte.



Mais Doug Ford se trouve paradoxalement en sauveur d’une situation de pourrissement dans les hôpitaux à laquelle il a contribué. Peu près l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2018, le vote de la Loi 124 plafonnant les salaires dans la fonction publique avait aggravé le problème de recrutement des infirmières.

Les promesses du gouvernement Ford pour l’embauche et l’accréditation d’infirmières formées à l’étranger n’ont pour l’instant pas donné de résultats.

L’autre avenue pour Doug Ford serait de résorber une partie de la crise du système de santé ontarien par l’augmentation des transferts du gouvernement fédéral en matière de santé. À cet égard, le gouvernement ontarien fait toujours front commun avec les autres provinces pour qu’Ottawa couvre 35% des dépenses en santé, contre 22% présentement.

Le premier ministre ontarien s’est même montré ouvert à suivre certaines conditions imposées par le gouvernement fédéral, par exemple un système national de données sur la santé comme forme de reddition de comptes.

La hausse des transferts de santé n’est sans doute pas la solution magique, mais elle donnerait un peu d’oxygène à un système de santé que la COVID-19 a mené à l’asphyxie.

En choisissant de recourir aux cliniques privées, Doug Ford donne l’impression de jouer une carte certes pragmatique, mais aux conséquences incertaines. Avec, à long terme, les capacités de créer une médecine à deux vitesses et des inégalités humaines réelles.

Sébastien Pierroz est journaliste et producteur pour la franchise d’actualité ONFR+ du Groupe Média TFO.