Pour Pierre Poilievre, le réveil est brutal. Il a été acclamé chef en septembre dernier avec 68% des points, incluant 62% au Québec, d’où provenait pourtant son principal rival, Jean Charest. Avec de tels résultats, on peut le comprendre de s’être cru adoubé de tous. Voilà qu’il apprend qu’il y a un océan de différence entre l’état d’esprit des militants conservateurs et celui de l’électorat en général. Le sondage Léger de décembre montre que le Parti conservateur (PC) n’obtient que 19% des intentions de vote au Québec, son pire score provincial. Pour autant, on ne peut pas conclure que M. Poilievre est un boulet pour son parti dans la province. Il ne fait plutôt que perpétuer le statu quo.
Le Parti conservateur est né en 2003 de la fusion du Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney et de l’Alliance canadienne ou plutôt, à la lumière de l’orientation idéologique adoptée depuis, de la prise de contrôle du premier par le second. Ce nouveau Parti conservateur n’a jamais vraiment percé au Québec.
Sept élections fédérales ont eu lieu depuis. À cinq d’entre elles, c’est au Québec que le PC a enregistré son pire score. Lors des deux autres, le Québec est arrivé avant-dernier, juste devant Terre-Neuve. Jamais le Parti conservateur n’a réussi à atteindre la barre des 25% de voix exprimées ici et il a, au mieux, décroché 12 sièges sur 78 (en 2015). Les piètres résultats actuels ont donc peu à voir avec le chef. Oui, Pierre Poilievre atteint des sommets d’impopularité, mais à 53%, il est ex-aequo avec Justin Trudeau à ce chapitre.
Il y a pourtant au Québec un terreau fertile pour les idées conservatrices modérées. Après tout, Brian Mulroney avait réussi à balayer le Québec en 1984 et en 1988. Certains diraient que l’hégémonie caquiste prouve elle aussi l’appétit québécois pour un conservatisme léger. Pourquoi le Parti conservateur n’arrive-t-il pas à tirer son épingle du jeu? Parce que les Québécois qui en font partie n’arrivent pas à en influencer la direction. Ils chantent la partition qu’on leur donne, mais ils ne la composent pas.
Les exemples sont nombreux. Pensons à la loi 21 sur la laïcité. Les Québécois du caucus avaient imploré leur parti de ne pas appuyer une intervention fédérale lors d’une éventuelle contestation judiciaire de cette loi. Pierre Poilievre ne les a pas écoutés. Il s’est dit en faveur d’une telle intervention.
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En matière d’armes à feu, le PC s’est opposé à chaque projet de loi visant à en resserrer le contrôle. Dans un Québec encore traumatisé par la fusillade de Polytechnique, cette posture passe mal.
Côté immigration, le Québec ose, au nom de la pérennité du français et de sa culture distincte, envisager des cibles moins élevées. Le Parti conservateur de Pierre Poilievre endosse plutôt les cibles accrues de Justin Trudeau.
Et que dire des changements climatiques? La semaine dernière, un sondage mené par le gouvernement fédéral nous apprenait que les Québécois sont plus susceptibles d’exiger plus d’efforts d’Ottawa (71%) que les autres Canadiens (48%). Ils sont les seuls à donner préséance à cette question plutôt qu’à la diminution du prix de l’essence ou à la réduction de l’inflation. Pourtant, Pierre Poilievre a profité de son passage au Québec pour appuyer le troisième lien et s’engager à «mettre fin à la guerre à l’auto». Ottawa, selon lui, n’aurait pas dû cesser de co-financer la construction de nouvelles autoroutes.
«On est le deuxième pays le plus grand au monde, a-t-il dit. Oui, je suis pour le transport en commun, mais il y a certaines personnes pour qui ça ne fonctionne pas. Les gens loin dans les banlieues ou les communautés rurales ne peuvent pas prendre un train électrique pour aller chercher leur épicerie ou amener leur enfant au hockey. Il faut être réaliste et pratique.»
Beaucoup ont noté que Pierre Poilievre n’est pas venu au Québec avec une offre spécifique, comme l’avait fait Stephen Harper en se prononçant contre le fédéralisme «dominateur» et «paternaliste» et pour la reconnaissance de la nation québécoise. Mais le Québec ne mérite-t-il pas mieux qu’un hochet qui lui ferait oublier que tout le reste ne cadre pas avec ses valeurs et ses ambitions?
Des vedettes pour quoi?
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La tournée de M. Poilievre a été précédée d’une rumeur selon laquelle il chercherait à recruter les ministres Éric Girard et Geneviève Guilbault. Ces rumeurs ont vite été démenties par tout le monde. Il n’y a rien d’étonnant là. Pourquoi des ministres au faîte de leur carrière abandonneraient leur prestigieux poste pour, au mieux, réintégrer des fonctions similaires à Ottawa et, au pire, ne pas réussir à se faire élire ou se faire élire dans l’opposition?
Cette rumeur traduit surtout un fantasme, celui du candidat-vedette qui deviendrait une locomotive pour améliorer le sort du Parti conservateur au Québec. Pourtant, le PC a déjà joué cette carte-là. Lors de son arrivée en 2015, Gérard Deltell avait été présenté comme une vedette. Idem pour le maire de Trois-Rivières, Yves Lévesque, qui a échoué deux fois à se faire élire. En tant qu’ex-ministre dans le gouvernement Couillard, Dominique Vien faisait aussi office de vedette en 2021. En entendez-vous souvent parler? Et que dire d’Alain Rayes, à qui on n’a pas tendu la main après l’élection de Pierre Poilievre et qu’on a attaqué comme un vulgaire ennemi sitôt son départ confirmé?
Toutes ces grandes pointures n’ont pas réussi à améliorer le sort du PC au Québec, car il n’ont pas réussi à influencer les positions du PC pour les aligner sur le Québec. Au lieu de se chercher en vain des locomotives, Pierre Poilievre devrait songer à transformer son train afin de donner le goût aux Québécois d’y sauter.