«Je suis découragé. Ma femme est malade, elle n’est plus capable de m’aider là-dedans. Avant ce qui m’est arrivé cet automne, je vendais déjà presque tous mes blocs. Je n’ai plus la capacité d’avoir des locataires, je n’en peux plus», déplore M. Lagacé.
Le propriétaire estime avoir subi pour 30 000 $ de dommages en raison de l’insouciance de ses locataires.
À ce calvaire s’ajoute celui des mauvais payeurs. Car le processus pour tenter de se faire payer son dû au Tribunal administratif du logement (TAL, anciennement Régie du logement) est très long, affirme-t-il.
«Pour un défaut de paiement, ça prend au moins deux à trois mois. Mais quelqu’un qui sait comment ça marche peut étirer ça de sept à neuf mois, facile. J’en ai une (locataire) pour qui ça a pris dix mois. Mais maintenant, elle conteste la décision du juge, alors on va perdre encore trois ou quatre mois, c’est sûr», critique M. Lagacé.
Bref, l’homme en a assez: après avoir passé des années comme propriétaire de logements, il ne veut plus rien savoir de cette occupation et compte vendre la dernière propriété qu’il lui reste.
Sa fille, Stéphanie Lagacé, a elle aussi voulu tenter l’expérience de la gestion de logements avant la mauvaise expérience qu’elle a vécue avec une locataire malpropre et qui ne payait pas son loyer.
«Je suis découragée. Quand je suis rentrée avec l’huissier, je suis tombée fâchée, puis je me suis mise à pleurer. Je me suis vidée. J’ai dit: ‘‘Je ne veux plus faire ça.’’ J’aimais ça, je voulais vraiment m’en aller dans l’immobilier. J’avais commencé à regarder pour une deuxième maison locative. Sérieusement, ça m’a vraiment éteinte», avait-elle déclaré au Nouvelliste, en août 2022.
Quelques mois plus tard, son père confirme qu’elle a vendu la maison qu’elle louait.
L’exception frustrante
Selon Marc-André Plante, directeur Affaires publiques et Relations gouvernementales à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), des situations d’insalubrité et de bris comme celles décrites par M. Lagacé demeurent heureusement l’exception. Elles sont toutefois extrêmement frustrantes pour les propriétaires qui les vivent, et qui n’ont selon lui que peu de recours.
«Ce sont des démarches très coûteuses et dans 80 % des cas, le locataire est non solvable. Les démarches devant le Tribunal peuvent prendre jusqu’à deux ans et c’est le propriétaire qui a le fardeau de la preuve. Ça fait que de plus en plus, les propriétaires ne vont plus déposer de plainte, parce que ça ne fait qu’accroître leurs pertes financières», affirme-t-il.
Les pertes liées au non paiement de loyer sont cependant moins rares. Selon la CORPIQ, l’ensemble des 250 000 propriétaires de logements locatifs au Québec perdent annuellement 250 millions $ de cette manière.
«C’est une situation qui affecte surtout les petits propriétaires, ceux qui ont moins de 20 portes. Quand ils perdent un ou plusieurs loyers pendant l’année, ça vient affecter leurs finances, parce qu’ils ne répartissent pas cette perte sur un vaste parc de logements», explique M. Plante.
Il est toutefois difficile de chiffrer le nombre de propriétaires qui, comme Stéphane et Stéphanie Lagacé, décident de vendre leurs logements pour consacrer leur argent et leurs efforts ailleurs. Mais une chose est sûre, selon la CORPIQ, ils sont en nombre suffisant pour que cela soit inquiétant.
«On ne se le cachera pas, plusieurs jettent la serviette ou pensent à le faire, et c’est malheureux. Surtout que l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) estime qu’il manque 100 000 logements à l’heure actuelle, et anticipe une baisse des mises en chantier pour 2023-2024. On sait aussi qu’entre 2006 et 2016, on a perdu 10 000 logements dans le parc locatif québécois, soit des gens qui ont retiré leurs logements du marché. On aura bientôt les chiffres pour 2016 à 2021», rapporte M. Plante.
Le manque à gagner en raison de rénovations rendues nécessaires par des locataires saccageurs ou par des loyers impayés a aussi un impact négatif sur le parc locatif. En effet, l’argent perdu ne sera pas investi dans des rénovations planifiées, mais nécessaires pour garder le parc locatif en bon état.
Moins de petits propriétaires
À travers ces difficultés, la CORPIQ constate également des changements importants du profil des propriétaires. En effet, on voit de moins en moins de petits propriétaires, qui revendent leurs logements à de plus grandes entreprises, qui gèrent un grand nombre de portes. Les petits propriétaires demeurent majoritaires: selon la CORPIQ, ils représentent présentement 70 % des propriétaires de logements au Québec. On craint cependant que la réalité change.
«On sait aussi que les petits propriétaires sont vieillissants et que plusieurs vont passer à une autre étape. Est-ce que ce sont les jeunes qui vont récupérer ces propriétés, ou de plus grandes entreprises? Je n’ai pas la réponse aujourd’hui», mentionne M. Plante.
Ce dernier admet cependant que la hausse des taux d’intérêt, du coût des matériaux et des tarifs des professionnels comme les plombiers et les électriciens, n’ont rien pour faciliter l’arrivée de la relève. C’est sans compter la hausse des taxes municipales subie partout en Mauricie, avec l’implantation du bac brun.
Or, la diminution du nombre de petits propriétaires marque également un changement dans la relation avec les locataires.
«On a des locataires qui aiment avoir une proximité avec leur propriétaire. On sait que la relation est différente quand le propriétaire occupe le bâtiment. Les derniers sondages qu’on a faits auprès des locataires indiquaient que leur relation avec leur propriétaire est bonne à 87 %. Mais ça grimpe à 90-91 % lorsque le propriétaire est occupant», souligne M. Plante.
Quelles solutions?
Sans avoir de solution miracle à tous ces problèmes, la CORPIQ mentionne qu’elle réclame depuis un moment déjà plusieurs ajustements au niveau des lois.
«Il faut moderniser les lois du TAL, dont la majorité ont été écrites dans les années 80. Il faut aussi motiver davantage la rénovation dans le parc locatif. Parce que quand vous faites des investissements, l’amortissement sur les loyers se fait sur 40 à 50 ans. Ça n’a pas de bon sens, l’amortissement est sur une période plus longue que la durée de vie de ce qu’on rénove, comme une toiture ou une cuisine. Il faut aussi s’assurer que les décisions (du TAL) pour le non paiement de loyer soient rendues plus rapidement», énumère M. Plante.
Ce dernier rappelle également que la CORPIQ réclame aussi la possibilité pour les propriétaires de demander un dépôt de garantie, une façon pour les propriétaires d’avoir un montant, aussi limité soit-il, en cas de bris dans le logement qu’ils louent. La CORPIQ plaide également pour la construction par le gouvernement de davantage de logements sociaux.
«Aidez les propriétaires et ultimement, c’est aussi le locataire qu’on va aider», estime M. Plante.