Des sources ont confié au Droit s’être rendus au bureau pour finalement participer à des visioconférences accessibles de la maison, qu’il manquait parfois d’ordinateurs, de chaises ou même de tables pour travailler, que les espaces collaboratifs étaient mal conçus dans les circonstances actuelles et qu’il y avait des problèmes avec l’outil de réservations de ces espaces.
«C’est la maison des fous d’Astérix», lance un fonctionnaire qui s’est confié sous le sceau de la confidentialité par peur de représailles.
Le 15 décembre, la présidente du Conseil du trésor Mona Fortier a annoncé que du 16 janvier au 31 mars, les fonctionnaires devaient revenir progressivement au bureau à raison de deux à trois jours par semaine. Dès le 1er avril, ce mode de travail deviendra obligatoire.
Depuis cette annonce, la présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), Jennifer Carr, dit être constamment interpellée par ses membres.
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Ceux-ci, dit-elle, ignorent encore comment se déroulera la transition du télétravail à un mode alliant travail à distance et travail au bureau.
«Ils n’ont pas assez de place. Ils ont de la difficulté à avoir des réponses à leurs questions. Il manque de clarté. Ils nous posent beaucoup de questions, mais on n’a pas les réponses du Conseil du trésor», soutient Mme Carr.
N’empêche, plusieurs fonctionnaires rencontrés en fin de journée lundi étaient plutôt d'avis que la vie reprend peu à peu dans les tours à bureaux de la promenade du Portage.
«Ce n’est pas le gros changement encore quand même, mais j’ai senti que ça grouillait beaucoup plus qu’à l’automne, a décrit un fonctionnaire qui a recommencé à fréquenter son bureau occasionnellement l’été dernier. Les gens sont contents de revenir au bureau en général.»
Des «problèmes logistiques»
Mais aux yeux de plusieurs syndicats, l’expérience des derniers mois où des employés ont commencé à fréquenter plus régulièrement le bureau a mis en lumière de sérieux problèmes.
Des fonctionnaires se seraient plaints auprès de leur syndicat d’avoir eu à travailler à la cafétéria ou carrément sur le plancher lorsqu’ils se sont présentés au bureau récemment.
«On va voir plus de problèmes logistiques, parce qu’il y avait des ministères qu’il y avait seulement une journée par mois [au bureau]», prévient Jennifer Carr.
Mardi, le Secrétariat du Conseil du trésor a déclaré par courriel que le Bureau de la dirigeante principale des ressources humaines «a élaboré des orientations pour aider les ministères et les organismes à mettre en œuvre un modèle de travail hybride commun».
«Les ministères sont encouragés à établir des comités internes pour surveiller les tendances des données et assurer une cohérence dans la détermination des exceptions», écrit le Secrétariat qui admet par ailleurs ne pas recueillir de données pangouvernementales sur le nombre d’employés travaillant sur place et à distance. Chaque ministère peut recueillir ses propres statistiques, dit-on.
À l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), le vice-président régional pour la région de la Capitale nationale affirme que la situation actuelle nuit au travail de certains fonctionnaires.
«C’est réel. Ça se passe souvent. Ça se passe dans la région d’Ottawa-Gatineau et ça se passe partout au pays où il y a des bureaux fédéraux», affirme Alex Silas.
M. Silas cite en exemple des problèmes techniques avec le système de réservation d’espace de travail administré par Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC).
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Par courriel, SPAC affirme que le système qu’il utilise «est fonctionnel et stable depuis plusieurs mois».
«SPAC est bien placé pour soutenir l’adoption du modèle hybride commun annoncé par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT). Nous élaborons actuellement un plan de mise en œuvre pour le ministère qui sera communiqué aux employés au cours des prochaines semaines», affirme le ministère.
Par équité et pour un meilleur service
À Ottawa, bien des travailleurs de l’État se demandent toujours ce qui a motivé le gouvernement fédéral à décréter une telle politique. Bon nombre d’entre eux ont témoigné avoir augmenté leur productivité et amélioré leur qualité de vie en travaillant à distance.
La présidente du Conseil du trésor disait vouloir «une équité à travers le gouvernement» et que cette nouvelle approche «va faire en sorte que tous les départements vont suivre ce modèle commun» pour «s’assurer qu’on offre un meilleur service aux Canadiens».
En adoptant une telle politique, Ottawa semble donner un coup de pouce aux commerçants durement touchés par la pandémie. Bon nombre d’entre eux revendiquaient depuis longtemps un retour au bureau.
Michel, un fonctionnaire rencontré lundi après-midi au centre-ville de Gatineau, se réjouit de revoir les restaurateurs renouer avec leur clientèle et tourner la page sur une période aussi difficile.
«Les lundis c’est plus tranquille, mais les mardis, les mercredis, les jeudis, c’est déjà plein. Il y a certains commerçants qu’on vient à connaître personnellement, et c’est le fun de les revoir, avec le sourire», a-t-il dit.
L’appréhension
Selon les syndicats, des fonctionnaires ont peur qu’un retour au bureau cet hiver les expose davantage à la COVID-19. D’autres doivent revoir leur conciliation travail-famille.
C’est le cas de Frédérique*, une mère de deux enfants qui travaille à l’Agence du revenu du Canada (ARC). Cette dernière doit retourner au bureau au début mars alors qu’on lui avait pourtant indiqué en 2021 que le télétravail était là pour rester. Aujourd’hui, elle se sent en quelque sorte «flouée» par son employeur.
Elle craint les conséquences financières, logistiques, familiales et psychologiques associées à son retour au bureau.
«On a retiré nos enfants de la garderie, cessé de payer du stationnement au centre-ville, décidé de s'acheter un nouveau véhicule. Ça nous fâche tous. On s'était fait dire qu'on travaillerait de façon hybride, mais sans obligation. On a été capable de s'ajuster à un nouveau style de vie et il n'y a eu aucun dérangement dans les opérations, alors pourquoi le chambouler et apporter plus de stress et de dépenses, de même qu'une moins bonne conciliation travail-famille?», lance-t-elle.
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L'annonce d'Ottawa a beau avoir eu lieu il y a un mois, et même après des rencontres avec les gestionnaires de l’ARC, la fonctionnaire soutient qu’«on [naviguait] quand même dans le noir» lundi.
À un peu plus d’un mois du retour au bureau, Frédérique a déjà des maux de tête lorsqu’elle pense à ses fins de journée. La pénurie de main-d'œuvre en éducation l’empêche de réinscrire un de ses enfants au service de garde. Le transport par autobus scolaire, l'option à privilégier, compliquerait passablement la donne.
«Ça nous inquiète un peu. On travaille tous les deux au centre-ville, alors ce serait tout un changement de routine. [La présence au bureau] devrait continuer à être sur une base volontaire, martèle la fonctionnaire. S'il y avait une vraie bonne raison, peut-être que je pourrais avaler la pilule, mais le travail de collaboration n'est pas un bon argument.»
Si la femme dit «comprendre la frustration» de certains au sein de la population – les gens qui par exemple n'ont jamais connu le télétravail – à l'égard des conditions de travail des employés fédéraux et leur désaccord face au plan de retour au bureau, elle réplique que chaque domaine a ses particularités.
«Je comprends d'où ils viennent (ces commentaires), je dirais peut-être la même chose si j'étais dans leur situation. Mais il faut aussi se mettre dans les souliers des deux côtés. Sans vouloir être méchante, les gens ont choisi leur métier et il y a certains emplois pour lesquels tu n'as pas le choix d'être présent, le travail à la maison est impossible, par exemple un médecin. Ça dépend de ton domaine. Les enseignants aussi, mais la pandémie nous a permis d'avoir une nouvelle appréciation de leur rôle, de voir à quel point ils travaillent fort. [...] Moi, le télétravail, j'y ai goûté et j'aime ça. L'adaptation ne s'est pas faite du jour au lendemain, non, mais on a changé notre style de vie et ça se passe bien», martèle-t-elle.
*Frédérique est un nom fictif.