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Du courage devant la haine

CHRONIQUE / «Sérieux, si j’étais vous, j’irais m’asseoir sur un chemin de fer et j’attendrais le train!»


Ma collègue journaliste Justine Mercier a nié avoir fait preuve de courage en traînant devant les tribunaux un individu qui l’avait incitée, par courriel, à se donner la mort.

L’homme en question a été condamné cette semaine à 80 jours de travaux communautaires. Le procès pourrait faire jurisprudence au Québec. Et, qui sait, prévenir d’autres attaques virtuelles de la même violence. C’est une des rares causes de ce type à se rendre jusque devant une cour de justice, peut-être même la première au Québec.



Je disais donc que bien des gens ont félicité Justine pour son courage d’avoir porté plainte. «J’estime qu’il ne s’agit pas tant de courage que de responsabilité», a-t-elle tempéré. Si elle a poursuivi l’homme, c’est qu’elle estime que les messages haineux, les insultes, n’ont pas leur place dans la société. «Personne ne mérite d’être la cible de propos ou de gestes menaçants», a-t-elle dit.

Ni les journalistes, ni personne.

Comme journaliste, comme citoyen, j’ai envie de remercier Justine d’avoir pris ses responsabilités. Et d’avoir eu du courage. L’un n’empêche pas l’autre. Il faut une certaine dose de courage pour se lancer dans un processus judiciaire.

Même si on ne le réalise pas toujours, les journalistes font un métier courageux. Ils n’ont pas peur de prendre la parole, de poser des questions difficiles, d’aller au-devant des coups, d’affronter les regards noirs, les critiques acerbes, les insultes et même parfois, comme dans le cas de Justine, des menaces à l’intégrité physique.



Les journalistes n’appellent plus ça du courage parce que ça fait partie intégrante de leur métier.

Mais ça reste du courage!

De l’autre côté, bien à l’abri derrière leur écran, des gens se sentent autorisés à dire n’importe quoi sur les médias sociaux, y compris à proférer des menaces.

Ils ont l’impression que leurs écrits sont sans conséquences. Ils oublient qu’à l’autre bout, il y a une vraie personne, avec un conjoint, des enfants, un boulot...

Dans le cas de ma collègue Justine, elle s’est demandé après coup qui avait accès à son adresse personnelle. Elle a eu de la misère à en trouver le sommeil.

Un juge vient de rappeler à tous que la liberté d’expression a des balises qui doivent être respectées, y compris sur Internet.



Et c’est une bonne nouvelle pour la démocratie.

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La haine qui déferle sur les réseaux sociaux est un véritable fléau, a aussi constaté le juge au procès.

Pas juste ici, partout, constatait l’Organisation des Nations unies (ONU) dans un récent rapport.

Aux États-Unis, le rachat de Twitter par Elon Musk fait craindre le pire. Au nom de la liberté d’expression, le richissime homme d’affaires refuse de rendre son nouveau jouet imperméable aux discours antisémites de l’extrême droite.

Face à ce dérapage démocratique, des groupes de défense, comme la Anti-Defamation League, opposent un nouveau mantra: «On ne peut plus se permettre d’ignorer les discours haineux, sans quoi ils ne feront qu’empirer».

Contrer les discours haineux est devenu une nécessité, concède aussi l’ONU. Ceux-ci mettent en péril les valeurs de tolérance, d’inclusion, de diversité, à la base des droits de la personne. Ils exposent des gens à la discrimination, aux abus, à la violence, de même qu’à l’exclusion sociale et économique…

On a souvent eu une attitude fataliste devant les discours de haine. Si vous en étiez victime, il se trouvait toujours quelqu’un pour dire que le plus simple était de les ignorer.



Sauf que si on laisse faire, il se crée des chambres d’échos sur les médias sociaux. Les gens légitiment leur rage et leur colère entre eux. L’absence de réactions des autorités ou des personnes visées les confortent dans leurs convictions. Et c’est dangereux.

On ne peut plus rester sans réagir.

C’est pour cela que la plainte de Justine Mercier était essentielle. Et courageuse. Pas seulement pour les journalistes, pour nous tous.