Chronique|

Ne redevenons pas des esclaves

S’il veut rallier ses employés, le gouvernement doit leur démontrer que leur présence physique au travail est indispensable, et qu’elle n’est pas seulement un prétexte pour stimuler l’économie des centres-villes d’Ottawa et de Gatineau (photo).

CHRONIQUE / J’entends râler des fonctionnaires en télétravail à l’idée de devoir retourner au bureau deux ou trois jours par semaine, comme veut les forcer à le faire le gouvernement fédéral. 


Dans une large mesure, je comprends leur réticence.

Je râlerais aussi, surtout si j’avais l’impression que ma présence au bureau ne change rien à la qualité de mon travail. S’il veut rallier ses employés, le gouvernement doit leur démontrer que leur présence physique au travail est indispensable, et qu’elle n’est pas seulement un prétexte pour stimuler l’économie des centres-villes d’Ottawa et de Gatineau.

La pandémie a fait fondre sur nous bien des malheurs. Mais elle nous a fait goûter aux nombreux avantages du télétravail. Le travail à distance nous a affranchis de l’épuisante routine auto-boulot-dodo de notre ancienne vie. Comment on faisait, avant, pour courir du matin au soir entre le travail, la garderie et l’école?

On croyait qu’il n’y avait pas d’autres vies possibles. Que ce rythme infernal était le propre d’une société moderne et civilisée. De manière inattendue, la pandémie a démontré le contraire.

Le télétravail a libéré du temps de qualité dans nos vies. Du temps qu’on peut consacrer à la vie familiale, au sport, au loisir, à cuisiner des petits plats. Du temps qu’on peut consacrer à mieux concilier la famille et le boulot. C’est à cela que les fonctionnaires en télétravail refusent de renoncer.

Et je les comprends.

En même temps, il faut reconnaître que le télétravail a ses limites.

Le premier moment d’enchantement passé, on réalise que le travail à distance, sur bien des aspects, c’est de la m… comme le dirait une chanteuse acadienne. Lorsque vient le temps d’intégrer un petit nouveau à l’équipe par exemple. Ou de cultiver l’esprit de corps, le sentiment d’appartenance à une organisation. Il y a des choses, comme celles-là, qu’on ne peut tout simplement pas réaliser en zoom.

Et je ne vous parle pas des discussions de corridor, des lunchs improvisés après une réunion, impossibles en télétravail.

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Le Conseil du Trésor prépare le terrain depuis des mois à un retour au travail hybride pour les fonctionnaires. Et il serait sur le point de passer à l’action, selon le magazine en ligne Options politiques.

Je pense cependant qu’il faut y aller en douceur et laisser le temps aux fonctionnaires de réorganiser leur vie personnelle autour d’un retour progressif de deux ou trois jours par semaine. Il nous a tous fallu un certain temps pour réaménager nos vies personnelles autour du télétravail. Il en faudra aussi pour se réadapter à un retour en présentiel.

Ce qui me fait peur, par contre, c’est que la volonté derrière le passage au mode hybride soit de revenir à nos anciennes façons de faire. Je refuse de croire qu’on pourrait tous se retrouver coincés sur les ponts, matin et soir, à libérer des tonnes de gaz d’échappement, pour sauver des restaurants et des commerces du centre-ville.

La pandémie a démontré qu’on pouvait s’organiser pour fonctionner, en société, sans être esclave de l’infernale routine auto-boulot-dodo. Tirons profit de cette leçon. Ne redevenons pas des esclaves.