Mme Fréchette était de passage à Ottawa lundi pour rencontrer son homologue à l’Immigration, Sean Fraser. La rencontre a peut-être duré une heure et demie, mais ce n’était pas parce que la ministre a essayé de soutirer au fédéral de nouveaux pouvoirs. L’idée de rapatrier la responsabilité de la réunification familiale, défendue jusqu’à tout récemment par la CAQ, ne fait plus partie des priorités. Tout au plus la ministre s’est-elle plainte qu’Ottawa dépasse les cibles fixées par Québec à ce chapitre.
Il faut dire que Québec n’a jamais vraiment expliqué ce qu’il ferait de différent s’il était investi de ce pouvoir. La réunification familiale, c’est le fait d’accueillir les parents ou les grands-parents d’un immigrant reçu précédemment. Québec peut bien se plaindre que ceux-ci ne parlent pas assez français, mais comme le dit le dicton, on ne choisit pas sa famille. Si Québec veut plus de francophones au chapitre de la réunification, il doit pour cela choisir en amont plus d’immigrants francophones, ce qu’il a déjà le pouvoir de faire.
Christine Fréchette, qui passe pour femme pragmatique, l’a bien compris. Les guerres de juridiction ne paraissent pas la passionner. «J’ai mentionné [au ministre Fraser] qu’on s’attend à avoir plus de pouvoirs pour la gestion de notre bassin d’immigrants, particulièrement avec le programme de travailleurs étrangers temporaires. Notre souhait est d’avoir la complète gestion de ce programme. Mais en même temps, on est prêts à travailler sur des améliorations de plus courte échéance.»
Elle suggère par exemple de prolonger la durée de validité des «études d’impact sur le marché du travail», ces analyses que doivent fournir les employeurs désireux d’embaucher des travailleurs étrangers temporaires. Elles servent à démontrer que le marché local n’est pas en mesure de fournir la main-d’oeuvre requise. La ministre propose d’en doubler la durée à cinq ans, question d’alléger les tracasseries administratives.
La ministre continue aussi de militer pour qu’Ottawa accorde plus facilement des permis aux étudiants étrangers francophones. Après les révélations médiatiques fracassantes démontrant que les étudiants originaires d’Afrique francophone étaient plus souvent recalés que les étudiants anglophones d’ailleurs dans le monde, Ottawa a rectifié le tir. Le taux moyen d’acceptation est passé de 27 % l’an dernier à 41 % cette année. C’est quand même fou ce qu’un simple mot d’ordre peut produire comme résultat…
Le mur de Roxham
Pour améliorer le système existant, il y a fort à parier que Mme Fréchette trouvera en son homologue fédéral quelqu’un de «parlable». Le contentieux sera ailleurs, plus précisément au chemin Roxham.
Québec réclame que le Canada renégocie avec les États-Unis son Entente sur les tiers pays sûrs de sorte qu’elle s’applique désormais partout, et pas seulement aux 117 points de passage officiels qui émaillent la frontière canado-américaine.
Rappelons que cette entente signée en 2004 interdit en quelque sorte le «magasinage» de son pays d’accueil en obligeant les demandeurs d’asile à loger leur demande dans le premier pays sûr où ils posent les pieds. Puisque le Canada considère les États-Unis comme sécuritaires, il y refoule tout demandeur qui en arrive. Le hic, c’est que l’Entente ne s’applique pas entre les 117 postes-frontière. Comme le chemin Roxham n’est PAS un poste officiel, malgré les installations de plus en plus permanentes qui s’y dressent, les demandeurs qui y passent s’assurent de rester en sol canadien. D’où la popularité de l’endroit.
Mme Fréchette est claire à ce sujet: la renégociation de l’Entente doit viser à faire en sorte qu’elle s’applique désormais partout, pour refouler partout. Notons que là-dessus, le Bloc québécois n’est pas au diapason de Québec, lui qui réclame plutôt la suspension de l’Entente, ce qui aurait pour effet de ne plus permettre de refoulement nulle part.
Ottawa a beau jeu de se dire ouvert à la demande de Québec: il ne contrôle pas la décision de Washington. Jusqu’à présent, le gouvernement de Joe Biden ne s’est pas empressé d’accéder à la demande canadienne.
Les choses achopperont surtout sur la question financière. Québec réclame compensation pour ce que coûtent ces nouveaux arrivants en services d’accompagnement, en services sociaux et en aide de dernier recours (aide sociale). Christine Fréchette, qui ne veut pas négocier sur la place publique, se limite à parler de «plusieurs dizaines de millions de dollars» par année. Pour l’instant, le bureau de Sean Fraser rétorque que Québec est censé absorber ces coûts avec les transferts fédéraux déjà existants.
Le bureau du ministre sert à son homologue québécoise une autre fin de non-recevoir, en matière de francisation celle-là. La ministre Fréchette aimerait «rentabiliser» le temps que passent ces demandeurs d’asile à attendre leur permis de travail fédéral en leur versant une allocation s’ils suivent des cours de francisation. Le projet est encore embryonnaire, mais il pourrait s’agir d’une allocation «de quelques centaines de dollars par semaine» pour des cours à temps plein. Ottawa refuse net de financer, comme le lui demande Mme Fréchette, cette éventuelle nouvelle allocation.
Au bureau de M. Fraser, on fait valoir que Québec reçoit déjà presque 700 millions par année pour la francisation des nouveaux arrivants. On prend surtout soin de souligner que c’est presque autant que le milliard versé pour tout le reste du Canada. Et les reportages qui nous apprennent sporadiquement que Québec ne consacre pas à la francisation tout l’argent fédéral destiné à cette fin n’aident sûrement pas la cause québécoise.
Les quelques déclarations caquistes malheureuses pendant la campagne électorale au sujet de l’immigration ont alimenté la méfiance d’Ottawa envers le Québec dans ce dossier. Le mandat de Christine Fréchette consiste à apaiser les craintes en montrant un visage rassurant et pragmatique plutôt que dogmatique. Mais les pierres d’achoppement demeureront inévitables.