Jeudi, Ottawa a déposé un projet de loi (C-35) qui a pour but de l’obliger à maintenir le financement destiné aux provinces pour leur programme respectif de garderies. Une telle loi est absolument novatrice dans la mesure où elle est absolument superflue. Le gouvernement fédéral s’est déjà engagé à verser 30 milliards de dollars sur cinq ans aux provinces pour bonifier leurs services de garde. Il n’a pas besoin de loi pour procéder. C-35 n’est qu’une paire de menottes législatives que le gouvernement fédéral se passe à lui-même. Pourquoi agir de la sorte? Pour coincer les conservateurs.
Les conservateurs n’ont jamais approuvé l’idée qu’Ottawa finance des garderies. Ils estiment qu’il revient à chaque province de décider de se doter ou pas d’un tel programme et de le financer. À la dernière élection, Erin O’Toole avait d’ailleurs été le seul chef de parti à promettre d’abolir les ententes bilatérales signées entre Ottawa et les provinces. Les libéraux savent que ce ne sont pas que des promesses en l’air. Ils gardent un douloureux souvenir de 2006. Au premier jour d’entrée en fonction de son gouvernement minoritaire, Stephen Harper avait mis la hache dans les ententes que son prédécesseur Paul Martin avait difficilement arrachées aux provinces.
En légiférant une obligation fédérale de financer les garderies provinciales, le gouvernement Trudeau fait en sorte que seule une majorité conservatrice pourra renverser le cours des choses. Et encore. Il lui faudra aussi l’aval du Sénat. Or, il n’y a plus, à la Chambre haute, que 24 sénateurs ayant été nommés par Stephen Harper sur un total possible de 105. Voilà l’héritage libéral cadenassé.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/2YGJTBLZFREKBFRM6SA6R7SDNY.jpg)
C’est la même logique qui est à l’oeuvre dans le dossier des armes à feu. Ottawa a déjà interdit les «armes d’assaut» au printemps 2020. (Elles feront l’objet d’un programme de rachat obligatoire en 2023.) Mais il avait procédé par décret, dressant simplement une liste des modèles interdits. De la même manière qu’il a pu procéder seul, un futur gouvernement aurait pu abroger cette liste sans l’approbation du Parlement.
Les libéraux ont donc décidé d’enchâsser tout ça dans le Code criminel afin qu’il ne soit pas possible de bouger sans l’aval du Parlement. Sans partenaire naturel sur cet enjeu-là non plus, le Parti conservateur aura de la difficulté à procéder. Rappelez-vous que Stephen Harper avait promis dès 2006 d’abolir le registre des armes à feu. Malgré trois projets de loi, il n’y était pas parvenu en contexte minoritaire. Il n’avait pu procéder que six ans plus tard, une fois majoritaire.
Une bonne idée viciée
Bien que mus en partie par des intérêts stratégiques partisans, les libéraux ont raison de vouloir codifier l’interdit d’armes d’assaut en insérant une définition de celles-ci dans la loi. Il s’agit d’ailleurs d’une demande de longue date de PolySeSouvient, qui se plaignait que les manufacturiers contournent facilement les listes d’Ottawa en concevant de nouveaux modèles juste assez différents pour ne plus être visés. Une définition qui s’appuie sur des caractéristiques précises (quantité d’énergie initiale en joules, diamètre intérieur du canon, capacité du chargeur) demeurera toujours à jour.
Le hic, c’est que les libéraux ont bafoué le parlementarisme le plus élémentaire. Lorsqu’un projet de loi est présenté au Parlement, il aboutit, après quelques débats de convenance, à un comité parlementaire où s’effectue le véritable travail. Là, une douzaine de députés invitent des experts à décortiquer pour eux le projet de loi et à en prédire les effets. À la lumière de ces témoignages, les élus apportent des amendements pour parfaire le texte.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/WR5KYGQMGBEXPEEE7OXLJ5WR24.jpg)
Avec C-21, les libéraux ont procédé à l’envers. Ils ont attendu cette ultime étape pour ajouter leur définition et l’accompagner d’une liste d’armes longue de… 307 pages! Les députés, qui ne sont pas tous avocats et encore moins armuriers, n’ont pas pu bénéficier des lumières des experts. D’où le barrage provenant de toutes parts, incluant des côtés bloquiste et néodémocrate.
Le gouvernement se défend en rappelant qu’il promet depuis longtemps de définir ce qu’il entend par «armes d’assaut». Mais justement: si l’intention était connue, pourquoi ne pas avoir inclus cette définition dès la première mouture du projet de loi et ainsi permettre un débat éclairé?
Les défenseurs des armes à feu ont beau jeu d’exploiter notre ignorance collective pour clamer que telle ou telle arme utilisée pour chasser l’oie ou éloigner la vermine se retrouve injustement prise dans les mailles du filet libéral trop large. Sans information neutre, il devient difficile de distinguer le vrai de la désinformation. Parlez-en à Carey Price. L’incapacité du gouvernement à justifier sa façon de procéder a aussi permis à d’autres d’alléguer que les libéraux ont reporté le dévoilement de leur intention afin que le débat ait lieu plus ou moins aux alentours des commémorations de la tuerie de Polytechnique.
Qu’il y ait eu malveillance ou pas, les libéraux n’ont pas joué franc-jeu et les voilà mal pris. Minoritaires, ils ont besoin de l’appui d’au moins un parti d’opposition. C’est ce qui explique qu’ils ont accepté jeudi de tenir sous peu deux autres réunions de comité, avec des experts, pour éclaircir toute cette affaire.
En attendant, gardons à l’esprit que la liste de 307 pages contient peu de nouveautés. Elle est constituée d’armes ayant été interdites dans les années 1990 (800 marques et modèles), de celles interdites en 2020 (1900) et de nouvelles interdictions qui se sont ajoutées depuis (480). Il faut en outre faire attention, car certaines armes listées sont en fait… des exceptions. En effet, la liste indique en certains endroits que toute la gamme de l’arme X est interdite, sauf les modèles énumérés juste après. Une recherche par mot-clé peut conduire à une fausse conclusion! Il faut surtout retenir que la liste se veut en grande partie rétroactive, alors que la définition se veut tournée vers l’avenir.
Tout ce cafouillage a coûté inutilement des appuis aux libéraux. Les voilà pris dans une guerre culturelle, dressant une fois de plus urbanité contre ruralité. L’enjeu est tellement juteux que le chef conservateur Pierre Poilievre a cru bon braver la presse parlementaire pour affirmer que «le véritable agenda» du gouvernement libéral est de «bannir toutes les armes de chasse parce que son idéologie woke et extrême vise à empêcher les gens dans les communautés rurales de vivre leur vie traditionnelle».
Tout cela est bien dommage, car à cause de calculs politiques crasses, voilà une bonne initiative embourbée. C’est ce qu’on appelle se tirer dans le pied.