C’est avec stupéfaction que nous apprenons que la Ville de Gatineau prévoit construire le Quartier général (QG) du Service de police de la ville de Gatineau (SPVG) sur les terrains du Centre Robert-Guertin, soit à moins de 200 mètres du Gîte Ami, le seul refuge d’urgence de la région.
Cette situation est dénoncée par plusieurs acteurs et actrices du milieu communautaire. L’installation du QG du SPVG à cet endroit risque en effet de causer des problèmes importants pour les personnes en situation d’itinérance, qui sont très nombreuses dans le secteur visé.
Nous sommes non seulement étonné.e.s d’apprendre qu’aucune consultation publique n’a eu lieu quant à l’utilisation de ce site, mais qu’aucune étude n’a été menée préalablement pour soutenir de façon éclairée la décision d’y installer le QG. Les recherches dans le domaine, de même que nos observations à la Clinique, soulèvent pourtant plusieurs enjeux qui nécessitent d’être entendus et considérés.
La recherche démontre en effet qu’une plus grande proximité géographique entre la police et les populations marginalisées entraîne diverses conséquences délétères.
D’une part, l’augmentation des interactions quotidiennes entre la police et les personnes marginalisées accroît les risques de harcèlement, de profilage et de judiciarisation. À la CIDSO, nous rencontrons plusieurs personnes qui se font interpeller par la police pour leur seule présence dans les espaces publics. Les conséquences de cette judiciarisation sont multiples et largement documentées : stigmatisation, expériences judiciaires anxiogènes, problèmes financiers, de santé et de logement qui limitent les possibilités de se sortir de l’itinérance, sans parler des coûts importants pour le système de justice. L’installation du QG à côté du Gîte Ami risque donc non seulement d’augmenter le nombre de personnes judiciarisées, mais aussi d’aggraver leur situation déjà très précaire.
D’autre part, la recherche montre que la présence accrue de la police dans un quartier augmente les risques de déplacement des personnes sans-abri et à faible revenu dans des secteurs plus éloignés des services sociaux. À Gatineau, la majorité des services, y compris ceux de la CIDSO, sont situés à proximité du terrain du Centre Robert-Guertin. L’arrivée du QG à cet endroit risque notamment d'entraîner des ruptures importantes dans l’accès aux services de consommation supervisée, alors que l’Outaouais est aux prises avec une hausse des cas de surdoses, portant atteinte au bien-être et à la survie des personnes. De plus, de tels déplacements augmentent les enjeux de cohabitation, comme en témoigne la croissance des campements urbains dans plusieurs villes canadiennes.
Finalement, nous regrettons qu’une telle décision puisse être prise dans le contexte d’une crise de logement sans précédent, où de nombreux organismes et citoyens réclament la construction de logements sociaux et abordables. Cet automne, 88% des personnes soutenues à la CIDSO avaient besoin d’accéder à un logement abordable et décent dans le secteur Hull. En effet, les ressources communautaires dans le Vieux-Hull font partie des déplacements quotidiens de ces personnes pour répondre à leurs besoins de base et obtenir le soutien dont elles ont besoin.
Le site de l’Aréna Robert-Guertin, qui a servi, depuis 2020, de refuge d’urgence et de halte-chaleur, permettrait d’envisager des solutions durables et à long terme à des besoins sociaux de plus en plus criants. Nous déplorons donc le manque de vision de la Ville qui contrevient aux principes de droit et de justice sociale élémentaires.
Autrices:
- Dahlia Namian, Professeure agrégée, École de service social, Université d’Ottawa
- Sara Lambert, M.S.S., Responsable du volet recherche-action à la CIDSO, candidate au doctorat en Service social, Université d’Ottawa
- Anne Thibault, Avocate-coordonnatrice de la CIDSO, candidate à la maîtrise en droit, Université d’Ottawa
Signataires:
- Sabina Bajri, stagiaire à la CIDSO et étudiante en droit à la licence en droit civil, Université d’Ottawa
- Émilie Beauchemin, Infirmière autorisée et candidate au doctorat en sciences infirmières à l’Université d’Ottawa
- Emmanuelle Bernheim, Professeure titulaire, Faculté de droit, Section de droit civil, Université d'Ottawa, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale et accès à la justice
- Alice Domtinet, stagiaire à la CIDSO et étudiante au Baccalauréat en sciences infirmières, Université d’Ottawa
- Malorie Kanaan, LL.L, J.D., candidate à la maîtrise en droit, Université d’Ottawa
- Pierre Pariseau-Legault, professeur agrégé, département des sciences infirmières de
- l’Université du Québec en Outaouais.
- Marie-Ève Sylvestre,S.J.D., Doyenne et professeure titulaire, Faculté de droit, Section de droit civil