Chronique|

La saison des vraies couleurs

Pierre Poilievre

CHRONIQUE / Les arbres perdent leurs dernières feuilles, les asters poussent leurs derniers soupirs. Aucun doute, l'orgie chromatique de l'automne tire à sa fin et cédera bientôt sa place à un ennuyant spectacle de brun. Mais à Ottawa, les politiciens fédéraux ont profité de la relâche parlementaire pour afficher leurs vraies couleurs. Les bleus ont refait la démonstration de leur aversion pour les médias et la drogue, tandis que les rouges ont endossé leur habit préféré de gendarme de la fédération.


Pierre Poilievre s'est ainsi rendu à Vancouver mercredi pour se prêter au jeu du point de presse. Élu à la tête du Parti conservateur le 10 septembre dernier, M. Poilievre snobe la presse parlementaire depuis. Manque de pot: un journaliste d'Ottawa qui s'était déplacé pour la rencontre des ministres de la Santé, s'est présenté et lui a demandé pourquoi il agissait ainsi. «La Tribune de la presse parlementaire pense qu'elle devrait dominer le discours politique, a-t-il répondu. Je crois que nous avons un grand pays. Les gens ne font pas nécessairement partie de la Tribune de la presse. […] La Tribune de la presse ne sera dorénavant plus la seule à avoir une voix. Tous les Canadiens auront une voix.»

Passons outre cette désolante opposition entre journalistes et citoyens, qui évoque la rhétorique de plus en plus fréquente à droite présentant les médias comme les ennemis du peuple. M. Poilievre oublie surtout que la presse parlementaire a la particularité d'être spécialisée… en politique. Parce qu'elle suit les décisions politiques au quotidien, elle est plus à même de détecter les failles du discours d'un politicien. Pour un élu, éviter la presse parlementaire, c'est l'équivalent d'un Luc Plamondon ou d'un Hubert Lenoir qui n'accorderaient des entrevues qu'à Québec Science ou d'un Groupe Jean Coutu qui présenterait son bilan financier à la Semaine verte.

Pierre Poilievre

M. Poilievre avait donné un premier «scrum» à Ottawa trois jours après son élection, mais cela s'est si mal déroulé qu'il a confirmé son intention de recommencer le moins possible. Un reporter de Global l'avait bombardé de questions au point de l'obliger à s'interrompre. Trop hargneux? Assurément. David Akin s'est d'ailleurs excusé par la suite. Mais il avait agi ainsi parce que l'équipe du chef avait annoncé qu'il ne répondrait à personne. Il voulait profiter des micros et des caméras des journalistes sans se soumettre à leurs questions. La persistance de David Akin (qui est loin d'être un agent libéral, ayant révélé le controversé voyage de Justin Trudeau sur l'île privée de l'Aga Khan) aura au moins permis d'en obtenir deux.

Pierre Poilievre a aussi choisi cette semaine Sarah Fischer comme directrice des communications. Cette femme avait pris fait et cause pour le convoi des camionneurs en février dernier au point de s'afficher sur Twitter en train d'actionner un Klaxon.

Dans un blogue, elle a aussi repris à son compte la thèse selon laquelle le Forum économique mondial tente d'imposer un nouvel ordre mondial, évidemment néfaste parce que de gauche.

Enfin, M. Poilievre a annoncé qu'en tant que premier ministre, il «mettra fin à l'utilisation de l'argent des contribuables pour des programmes qui financent l'usage de drogues dangereuses» et redirigera l'argent vers des programmes de réhabilitation. Il n'a pas offert de détail, mais on comprend qu'il cible les 27 projets-pilote, au coût de 76 millions $, offrant notamment de la méthadone ou de la diacétylmorphine aux toxicomanes qui ne répondent pas aux traitements.



Pierre Poilievre

Pour la drogue comme pour les médias, le discours est le même que celui de Stephen Harper. À l'époque, le premier ministre avait condamné l'approche de réduction des méfaits. «Si vous restez toxicomane, je me fous que vous réduisiez les méfaits, vous vivrez encore une vie courte et misérable», avait-il expliqué. Son gouvernement avait essayé de fermer le seul site d'injection supervisée au pays, mais la Cour suprême l'en avait empêché. Il avait toutefois rendu impossible l'ouverture de nouveaux sites. Les libéraux de Justin Trudeau ont relâché les règles et il y en a maintenant 37 en opération au pays.

La police canadienne

Pendant ce temps, Justin Trudeau a continué à jouer au général avec les provinces, adoptant une attitude de supérieur hiérarchique s'arrogeant le droit d'exiger des comptes et de distribuer les critiques.

Sur le front de la santé, d'abord, Ottawa a pris prétexte d'une déclaration écrite des premiers ministres provinciaux pour quitter la rencontre à Vancouver. Pourtant, la déclaration ne faisait que réitérer un message connu depuis deux ans, à savoir que le gouvernement fédéral devrait assumer non plus 22% mais 35% des coûts totaux du réseau. Il n'y avait rien de nouveau. Les provinces tentaient seulement d'amener Ottawa à révéler combien d'argent supplémentaire il était prêt à verser. Non seulement ne l'ont-elles pas su, mais elles ont été accusées d'être responsables de l'échec des négociations.

Justin Trudeau

Justin Trudeau refuse le rôle de simple pourvoyeur que les provinces veulent lui faire jouer. Il se voit plutôt comme un grand ordonnateur des réseaux de la santé, quelqu'un vers qui les données (sur le nombre de médecins, les délais d'attente, etc.) convergeraient et qui prodiguerait les directives en conséquence. Dans le reste du Canada, il est fréquent de penser que le gouvernement fédéral trône au sommet de la pyramide de gouvernance et que les provinces y sont plus ou moins subordonnées. Un article du Globe and Mail portant sur la rencontre a par exemple parlé des provinces comme des «gouvernements inférieurs».

Justin Trudeau adhère au moins en partie à cette vision. Sinon, comment expliquer les leçons qu'il s'est permis de servir à l'Ontario et au Nouveau-Brunswick?

M. Trudeau avait déjà dénoncé l'invocation par Doug Ford de la clause dérogatoire, de manière préventive, pour empêcher la grève en éducation. Mais il est allé beaucoup plus loin cette semaine en contactant personnellement les leaders de quatre syndicats (Unifor, SCFP, CTC et LiUNA, un syndicat du domaine de la construction!) pour leur dire qu'il était de leur côté. Est-ce vraiment le rôle d'un premier ministre du Canada de contacter les groupes en conflit avec un premier ministre provincial pour se ranger dans leur camps?

Puis, M. Trudeau s'est rendu au Nouveau-Brunswick où il a reproché à son homologue Blaine Higgs d'avoir nommé Kris Austin sur un comité devant repenser les lois sur le bilinguisme. Le ministre Austin a déjà dirigé un parti très critique du bilinguisme officiel. «Ça n'a pas de sens!», a-t-il déploré. Cette nomination a été critiquée par les francophones de la province, mais M. Higgs l'a justifiée par un désir de représentativité de toutes les perspectives. «Je ne veux pas voir un autre conflit dans notre province. […] J'essaye d'avoir tout le monde à la même table pour qu'on travaille d'une façon constructive et qu'on produise un plan duquel tout le monde pourra dire: ‘Oui, ça peut fonctionner'.» Peut-être n'est-ce pas une assez bonne raison, mais doit-on rappeler que M. Trudeau, lui, a nommé une gouverneure générale qui ne parle pas français?

Les relâches parlementaires sont parfois des moments de répit politique. Mais parfois, elles permettent mieux qu'un débat aux Communes de mesurer à quelle enseigne tout le monde loge.