Chronique|

Quand même les jeunes boudent le bus

Océane Bélanger-Garant et Léonard Saint-Arnaud 

CHRONIQUE / Au cégep de l’Outaouais, les étudiants du secteur Aylmer qui prennent encore l’autobus pour se rendre à leur cours, comme Léonard et Océane, passent pour… des cas à part. Ils se font regarder d’un drôle d’air par leurs camarades.


Personne au campus Gabrielle-Roy n’est content du service de la Société de transport de l’Outaouais (STO), me raconte Léonard Saint-Arnaud. Au point où la plupart des cégépiens qui habitent Aylmer (ils sont 700 sur ce campus) préfèrent s’acheter une voiture ou emprunter celle de leurs parents pour se rendre à leurs cours.

Tous deux résidants du secteur Aylmer, Léonard et son amie Océane Bélanger Garant font figure d’exception. Ils continuent de prendre l’autobus envers et contre tout, malgré les délais, les retards… Par conviction environnementale, essentiellement.



Le trajet matinal en autobus, par la 49 ou la 50, leur prend parfois plus d’une heure à cause du trafic. Leurs amis d’Aylmer, qui voyagent en voiture, parcourent le même trajet en 15-20 minutes…

Pendant qu’Océane et Léonard se lèvent aux aurores pour éviter un retard en classe, leurs camarades qui voyagent en autosolo font la grasse matinée…

«Quand je dis à un ami que je prends l’autobus pour venir au cégep, la conversation prend toujours la même tournure, me raconte Léonard. Typiquement, ça va comme suit:

- Quoi, tu voyages en autobus? T’as pas ton permis de conduire?



- Si, j’ai mon permis, répond Léonard.

- Alors t’as pas d’argent pour t’acheter une voiture.

- Non, c’est pas ça.

- Alors quoi?

- Bien je prends l’autobus parce que c’est mieux pour moi, c’est tout.

Chaque fois, me dit Léonard, son interlocuteur secoue la tête en signe d’incompréhension.



En 2022, à l’heure des changements climatiques et des enjeux environnementaux, des centaines de jeunes du cégep de l’Outaouais ont conclu que l’autosolo est préférable au transport en commun pour se rendre à l’école. En soi, c’est une tragédie!

Soutenus par leur professeur Olivier Rousseau, Léonard et Océane ont écrit une lettre au directeur du cégep, avec copie conforme à la STO. Une lettre particulièrement bien écrite: elle relève avec acuité toutes sortes de contradictions et propose des solutions.

Si tant de cégépiens voyagent en voiture même s’ils habitent des secteurs desservis par la STO, disent-ils, c’est en partie la faute du cégep qui est trop complaisant envers les automobilistes.

À ses étudiants, le cégep offre, à un prix d’ami de 144 $ par session, plus d’un millier de vignettes de stationnement. C’est moins cher que la CAM-Puce de la STO à 216 $ par session. Cherchez l’erreur! Les plus motivés des cégépiens peuvent se garer gratuitement au Relais Plein air, pas très loin, ou dans les rues environnantes.

Il faudrait inverser la tendance, avance Océane, et rendre l’autobus plus attrayant que l’autosolo. Comment? En faisant du transport en commun le choix le plus économique, que ce soit par des tarifs avantageux voire la gratuité.

Mais aussi en améliorant le service par des lignes express ou une voie réservée sur Saint-Raymond, proposent-ils. Les autobus qui desservent Aylmer le matin sont parfois si chargés qu’ils refusent des gens en court de trajet. «Ce n’est pas normal d’arriver en retard à ses cours parce qu’on fait le choix de l’autobus», s’insurge Océane.

La direction du cégep leur paraît bien frileuse à restreindre le «droit» des étudiants à se déplacer en auto. «Prendre son char ne devrait pas être un droit, mais un privilège», insiste Océane. Un privilège réservé, par exemple, aux étudiants qui arrivent de Masson-Angers ou Buckingham.

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Ils ont raison.

C’est anormal qu’un secteur qui compte trois écoles - le cégep de l’Outaouais, le collège Héritage et l’école secondaire Mont-Bleu - soit si pauvrement desservi en matière de transport en commun.

La STO cherche désespérément à reconquérir les usagers perdus durant la pandémie. Elle aurait intérêt à revoir de près le service offert dans ce secteur, en collaboration avec les autorités scolaires.

L’histoire de Léonard et Océane le démontre éloquemment. Le choix ultime entre l’autobus et l’auto repose sur des détails.

Le Droit relatait que la STO songe à augmenter ses tarifs de 4 % l’an prochain, pour compenser un manque à gagner de 175 millions. J’ai envie de dire: prudence. L’enjeu est de rendre l’autobus plus attrayant, pas moins. Quand même les jeunes décrochent de l’autobus, c’est préoccupant.