En peu de mots et de façon un peu simpliste, on peut dire que Mark Sutcliffe a les yeux rivés sur les enjeux associés à l’actuel coût de la vie et Catherine McKenney, sur ceux associés à la justice sociale et à l’avenir de la planète.
Le plan Sutcliffe chiffre les dépenses normalement épongées par les impôts fonciers et les mesures qu’il entend prendre pour limiter les pressions inflationnistes sur les propriétaires. Pour y arriver, il promet de maintenir les hausses de taxes foncières entre 2 et 2,5% durant les deux premières années de son mandat. Il n’avance pas de cible pour la suite. Pour combler le manque à gagner et financer de nouvelles dépenses, il n’investirait plus dans les domaines «non prioritaires», qu’il n’énumère pas, et ne pourvoirait pas 100 postes «non essentiels» actuellement vacants. Il éliminerait par attrition 100 postes supplémentaires. Il lancerait un examen complet des dépenses de la ville afin de générer entre 35 et 60 millions d’économies récurrentes dès le budget adopté l’automne prochain. Son plan ne détaille pas ce qu’il fera pour atténuer l’effet de l’inflation sur les dépenses épongées par des frais d’usager et des subventions des autres niveaux de gouvernement. Faut-il par conséquent s’attendre à des hausses de tarifs ou des réductions de services? Il s’en défend.
Catherine McKenney, qui a siégé huit ans au conseil, offre un plan financier d’un genre rarement vu au niveau municipal. Ses hypothèses financières sont détaillées et l’utilisation des emprunts et de la réserve financière, expliquée. Son plan promet de plafonner la hausse des impôts fonciers à 3 % par année pour la durée du mandat. Pour financer ses engagements en matière de logement, de luttes contre l’itinérance et contre les changements climatiques, iel mise sur les revenus fonciers prévus, des partenariats avec les autres niveaux de gouvernement, l’utilisation d’une partie de la réserve pour éventualité de la ville (surtout pour faire face à l’inflation) et l’émission d’obligations vertes pour investir en quatre ans le budget prévu pour 25 ans d’infrastructures cyclables (ce qui lui attire les critiques incessantes de M. Sutcliffe). On peut d’ailleurs s’interroger sur le réalisme de faire tous ces travaux en quatre ans quand la ville a déjà de la difficulté à respecter ses objectifs.
Kevin Page, l’ancien directeur parlementaire du budget et actuel président et PDG de l’Institut des finances publiques et de la démocratie de l’Université d’Ottawa, a examiné les deux documents. Sans prendre parti, il a relevé des qualités de part et d’autre, ce que les deux camps se sont empressés d’utiliser pour tenter de donner plus de crédibilité à leurs calculs.
Dans un échange écrit avec Le Droit cette semaine, il note que les deux candidats «plaident en faveur de la responsabilité budgétaire», mais abordent les enjeux municipaux de deux points de vue totalement différents. Catherine McKenney préconise «des investissements initiaux plus importants afin de s’attaquer aux défis des changements climatiques, de la pénurie de logement, de l’amélioration de la qualité de vie. Catherine fait preuve de transparence au sujet de l’utilisation d’une partie de la réserve financière et d’obligations vertes pour financer ces priorités. Ce sont des dépenses d’immobilisations et non de consommation. Catherine peut donc arguer que ce genre de dépenses est moins inflationniste et peut, à long terme, augmenter le potentiel de croissance de la ville et améliorer la qualité de vie.»
Mark Sutcliffe, de son côté, «défend une gestion fiscale plus serrée dans un contexte de haute inflation et d’incertitude économique. Il veut limiter les hausses d’impôts fonciers parce que le budget des familles est affecté par l’inflation et les taux d’intérêts élevés. Il veut revoir les dépenses pour accroître l’efficacité des services municipaux et ainsi financer des dépenses ciblées et modestes afin d’améliorer la qualité de vie et de répondre aux pressions inflationnistes.»
Kevin Page avoue qu’«en tant qu’ancien directeur parlementaire du budget, [il] aime le haut niveau atteint par le plan financier McKenney en matière de transparence financière.» Il ajoute aussitôt «respecter la stratégie financière de Sutcliffe en ces temps difficiles et incertains». Cependant, poursuit-il, «ce sera un défi de trouver le niveau d’économies promises sans affecter les services offerts. C’est aussi difficile de mettre cela en oeuvre en un court laps de temps.»
Il convient que ces plans reposent sur des hypothèses en matière d’inflation et ont été élaborés dans un contexte incertain. «Le mieux que l’on peut faire dans ces circonstances est d’être le plus clair possible au sujet des hypothèses utilisées et les politiques publiques proposées», conclue-t-il.
M. Page maintient sa neutralité, mais je ne peux en dire autant après avoir lu ses commentaires et les deux plans financiers. Ces candidats sont solides, mais développement humain et développement durable sont mes boussoles et, jugé à cette aune, Catherine McKenney se détache. Le 24 octobre, c’est véritablement un choix de société que les Ottaviens auront la chance de faire. Des occasions comme celle-là sont rares, ne la ratons pas.
Manon Cornellier est chroniqueuse et journaliste politique à Ottawa depuis plus de 30 ans. On l’a lue notamment à La Presse, au Devoir et à La Presse canadienne et on l’a souvent entendue à la radio et vue à la télévision. Elle écrit une chronique dans Le Droit tous les 15 jours.