Le cycliste tué sur la route 105 à Chelsea, vendredi soir, s’appelait Petar Furlan. Quelques instants avant sa mort, un collègue lui a offert un lift pour le ramener à la maison. S’il avait accepté, il serait encore vivant aujourd’hui.
Immigré bosniaque, Petar Furlan, 67 ans, travaillait comme mécanicien au garage Selmi sur le chemin Freeman. C’était un homme en or, un mécanicien d’exception, l’a vanté Yvon Methot, son collègue des 22 dernières années. «Le pilier du garage», affirme-t-il, encore sous le choc de son décès.
Ces temps-ci, Petar se rendait au boulot en vélo. Pas tant par plaisir que par nécessité: il n’avait plus de permis de conduire, m’ont confié ses collègues. Il habitait seul à moins de 1200 mètres du garage, dans une maison jaune située en bordure de la route 105.
Bref, vendredi dernier, la journée avait été longue au garage. Vers 19h, voyant que l’obscurité s’installait, un autre collègue de Petar, Christian Iradukunda, lui a offert un lift. «Veux-tu que je te dépose chez toi, Petar? Allez, on va mettre ton vélo dans la boîte de mon camion…»
Petar a décliné: non merci, c’est gentil, je vais pédaler.
Il s’est fait frapper quelques centaines de mètres plus loin, par-derrière, par une voiture qui roulait en direction nord, comme lui. Funeste ironie, Petar disait souvent à ses collègues de travail de faire attention. C’est un moment d’inattention qui lui aura coûté la vie.
Certains diront qu’il n’y a pas de leçons à tirer de cet accident. Après tout, l’enquête policière a démontré hors de tout doute que la responsabilité de l’automobiliste n’est pas en cause. C’est Petar qui n’était pas à la bonne place: en plein milieu de la route avec son vélo, alors que l’obscurité commençait à tomber. L’enquête a révélé qu’au moment de la collision, Petar circulait sur la ligne pointillée blanche, au milieu des deux voies de droite.
Que faisait-il là?
L’hypothèse la plus plausible est qu’il tentait de traverser pour se rendre chez lui, à moins d’une centaine de mètres, de l’autre côté de la route. En tout cas, si j’avais été à sa place, c’est exactement à cet endroit que j’aurais traversé, juste avant la courbe. C’est là qu’il a été frappé, devant chez Gauvreau Transport. Des témoins ont décrit la violence du choc: Petar a été éjecté à plusieurs mètres de son vélo.
Non, Petar n’avait pas de veste réfléchissante pour se rendre visible dans l’obscurité. Avant que vous le demandiez, il n’avait pas de casque non plus. Est-ce qu’un casque lui aurait sauvé la vie? Je l’ignore, mais il avait des blessures à la tête.
On met bout à bout tous ces éléments et on a envie de dire: affaire classée. C’est la faute du cycliste. Ce qui ne changerait rien au problème de fond: ce bout de route 105 entre le chemin Freeman et le pont Alonzo est dangereux.
Les collègues de Petar y dénoncent le manque d’éclairage et la vitesse excessive. Avec raison, selon moi. «Le soir, il n’y a pas de lumière dans ce coin-là, a dit Yvon Methot. C’est le noir absolu jusqu’au pont Alonzo!»
Un autre cycliste a perdu la vie presque au même endroit, dans des circonstances similaires, le 1er janvier 2017, vers 6h du matin. L’homme de 62 ans pédalait lui aussi direction nord, sur une route partiellement dégagée (il avait neigé un peu). Il se trouvait sur la ligne médiane jaune quand il a été embouti non pas par un, mais par deux véhicules. Encore une fois, l’obscurité a pu jouer un rôle dans cet accident: il était tôt le matin.
Je me suis rendu sur place, mardi matin, pour me faire une idée de l’état des lieux. J’ai fait un détour par le chemin de la Mine où Chelsea vient d’aménager une piste cyclable en bordure de la route. Il y a des bollards, des traverses pour piétons, une limite de vitesse à 50 km/h… Avec la signalisation abondante, impossible d’ignorer les cyclistes qui sont nombreux à emprunter cette belle route bordant le parc de la Gatineau.
C’est tout le contraire de la route 105 où Petar a perdu la vie. Oui, il y a un accotement asphalté des deux bords de la route. Mais aucune signalisation pour les cyclistes. Aucune traverse pour piétons. Aucun bollard. En outre, les voitures roulent vite: je me suis fait dépasser alors que je circulais à 70 km/h, la vitesse permise.
J’oubliais: il n’y a pas de lampadaires. Peut-être qu’on pourrait commencer par cela: installer de l’éclairage. On doit bien cela à Petar. «C’était comme un deuxième père pour moi», le regrette Christian Iradukunda. «Il attendait son chèque de pension pour lâcher la job, renchérit Yvon Methot. On a souvent été souper ensemble. Un très bon gars. Il aurait donné la chemise qu’il avait sur le dos pour t’aider.»