Une truite d’ici prisée par les grands chefs

Cédric Philibert, Denis Ferrer et Vincent Néron possèdent un secret bien gardé, au cœur de ses 65 000 acres de forêt. à Kenauk.

Reconnu pour ses paysages pittoresques et son environnement immaculé, le domaine Kenauk possède un secret bien gardé, au cœur de ses 65 000 acres de forêt.


L’une des plus anciennes réserves privées en Amérique du Nord offre un produit prisé par les grands chefs montréalais.

Sa pisciculture, qui date des années 1920 et qui a été modernisée à grands frais après le changement de propriétaires, en 2014, produit une truite arc-en-ciel et mouchetée de qualité supérieure qui se retrouve dans les cuisines de plusieurs restaurants gastronomiques de l’île de Montréal.

La truite Kenauk, élevée près de Montebello, est très prisée par les chefs qui recherchent des produits locaux de grande qualité.  (Patrick Woodbury, Le Droit)

Le Droit est allé visiter les installations basées tout juste en face du majestueux lac Papineau, l’un des 60 plans d’eau de la réserve localisée à Montebello, dans la Petite-Nation.

La capacité de production annuelle de la pisciculture se maintient entre 20 et 22 tonnes. On y fait l’élevage et l’ensemencement de la truite mouchetée, de la truite arc-en-ciel et de la truite brune. La pisciculture Kenauk est d’ailleurs l’un des seuls producteurs au Québec à faire l’élevage de truite brune.

«C’est une production assez aléatoire. On arrive à en faire chaque année, mais c’est vraiment un marché de niche», précise à ce sujet Vincent Néron, gestionnaire de l’hygiène et de la salubrité et technicien en aquaculture au sein de l’entreprise.

La «truite Kenauk» est bien connue dans le milieu de la haute gastronomie montréalaise. On la retrouve maintenant dans une vingtaine de grands restaurants de la métropole.

Il faut dire que la mission première du site d’élevage n’est pas la commercialisation du produit. Kenauk Nature est d’abord une destination plein air de renom auprès des amateurs de pêche sportive, insiste l’équipe de gestionnaires.

«L’idée au départ, c’est surtout d’ensemencer les lacs pour les villégiateurs. On ensemence environ une vingtaine de lacs dans la réserve. Il y a aussi les clients de la région et ailleurs au Québec», explique Denis Ferrer, le responsable des relations avec la restauration pour la pisciculture Kenauk.

Un produit recherché par les grands chefs

Toutefois, la «truite Kenauk» est bien connue dans le milieu de la haute gastronomie montréalaise. On la retrouve maintenant dans une vingtaine de grands restaurants de la métropole, notamment Au Pied de cochon, Toqué!, Beau Mont, Plaza, Mastard, Foxy, Joebeff, Mon Lapin, Réservoir et Hoogan et Beaufort.

«On commence à se faire un nom», lance M. Philibert.

D’importants travaux de mise à niveau de la salle de conditionnement et de transformation de poisson ont été réalisés dans les derniers mois, si bien que c’est tout récemment que la «truite Kenauk» a commencé à reprendre le chemin des cuisines montréalaises. Il faut dire qu’il y a trois ans, le volet commercial n’était pas en place. L’équipe a testé le marché pour évaluer l’intérêt des restaurateurs. Le produit se faufilait au compte-gouttes dans les menus. Les truites arrivent aujourd’hui à maturité et sont prêtes à être vendues en plus grand volume.

Entre 20% et 30% du quota de production de la pisciculture est maintenant destinés à ce secteur d’activités. La truite arc-en-ciel et la truite mouchetée élevée dans les bassins de la forêt Kenauk ne se retrouvent sur aucune table en Outaouais. La raison est fort simple, nous dit-on. C’est essentiellement parce que la demande pour le produit dépasse la capacité de production.

«On a déjà des clients réguliers ici sur la pourvoirie qu’on fait depuis le début. Nous sommes limités avec les exigences du ministère de l’Environnement. Si on voulait desservir d’autres régions, il faudrait abandonner des clients ou augmenter le quota, ce qui est compliqué. On a beaucoup plus de demandes que ce que nous pouvons produire. Nous sommes obligés de faire une sélection», indique Cédric Philibert.

M. Ferrer, qui a été à l’époque directeur des Cerfs de Boileau, une entreprise réputée de Grenville-sur-la-Rouge qui a dû fermer ses portes à cause d’une éclosion de la maladie débilitante du cerf, soutient qu’il y a aussi une question monétaire. «Avec les Cerfs de Boileau, nous avions livré un peu dans la région de Gatineau et Ottawa, mais nous n’arrivions jamais à amortir nos coûts de distribution», dit-il.

Mais qu’est-ce qui explique donc l’engouement par les restaurateurs pour la truite élevée à Montebello?

Cédric Philibert, Denis Ferrer et Vincent Néron de la pisciculture Kenauk.

«On tient des sources qui descendent de la montagne. L’eau alimente la pisciculture. Après, ça se fait oxygéner dans l’un des bâtiments et ça circule dans les bassins», explique Cédric Philibert.

«Parce qu’on a une eau qui est super froide, c’est plus long pour produire des truites, mais la chair est beaucoup plus ferme et de qualité. Ça va nous prendre presque le double du temps quand on compare avec les autres pourvoiries avant de sortir un poisson de taille commercialisable pour la restauration. On parle de trois ans et demi facilement», ajoute ce dernier avec fierté.

Manger de la truite d’ici demeure difficile

Selon les données du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, 135 entreprises dans la province détiennent un permis d’aquaculture commerciale pour exploiter une pisciculture ou un étang de pêche.

Or, c’est à peine 5% de la truite que nous consommons au Québec qui vient de nos producteurs, soulignent les responsables de la pisciculture Kenauk.

La truite vendue sur les tablettes en épicerie provient essentiellement du Chili ou de la Norvège. Les restrictions imposées par le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques limitent les piscicultures dans leur production.

«S’il y a des freins, c’est qu’il y a eu beaucoup de rejets dans le passé, explique le technicien en aquaculture, Vincent Néron. Il n’y avait pas de systèmes de traitement du fumier. Il y a plus de restrictions. Le fumier de poisson, c’est rempli de phosphore. Nous sommes maintenant restreints au niveau du phosphore qui se retrouve dans la moulée. Avec la production d’aliments qui s’est améliorée et les systèmes de traitement des eaux, on peut faire quelque chose de très propre quand on compare à il y a 30 ans. On commence à remonter la pente. L’aquaculture, c’est le futur. C’est le moyen de production de protéine animale le plus performant. Pour un poisson, on donne en général entre un kilo et un kilo et demi d’aliments pour qu’il prenne un kilogramme. Pour une vache, c’est 50 kilos d’aliments pour qu’elle atteigne un kilo.»

Si la pisciculture Kenauk pouvait exploiter davantage son volet restauration et commercialisation, elle le ferait, soutient Cédric Philibert qui croit que les Québécois gagneraient certainement à manger plus de «poisson local».

Les entreprises d’élevage doivent toutefois respecter les cadres imposés par Québec.

«Il y a un peu une incohérence. Le MAPAQ veut plus de poissons, tout le monde veut plus de poissons, sauf l’Environnement. On a une capacité d’eau qui est exceptionnelle au Québec, mais tant qu’on aura des restrictions au niveau environnemental, ce sera difficile de développer. On a tellement de rivières et une belle eau. On a des possibilités infinies», de conclure le directeur de l’exploitation piscicole située à Montebello», conclut-il