Lançons un débat là-dessus au Québec.
De ce point de vue, Benoît Pelletier, ex-ministre libéral sous Jean Charest et professeur émérite de droit à l’Université d’Ottawa, a raison.
Notre mode de scrutin actuel produit trop de distorsions démocratiques pour qu’on fasse comme si de rien n’était. N’en déplaise à François Legault qui refuse de se lancer dans une réforme, prétextant que les Québécois n’ont aucun appétit pour un tel débat.
D’une élection à l’autre, au Québec, on observe une surreprésentation du parti au pouvoir et une sous-représentation des partis d’opposition, note avec raison M. Pelletier. On en a un exemple flagrant en 2022: le Parti conservateur d’Éric Duhaime n’obtient aucun siège à l’Assemblée nationale après avoir récolté 13 % du vote populaire.
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Autre distorsion du système: il fait que des votes comptent plus que d’autres. À titre d’exemple, les 14% de votes obtenus par les libéraux, majoritairement dans la région de Montréal, lui ont valu 21 sièges et le titre d’opposition officielle. Le PQ a récolté lui aussi 15% du vote, mais n’obtient que 3 sièges en raison d’appuis plus dispersés. C’est injuste, et le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon a raison de s’en indigner.
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En Outaouais, on a pu observer de près une autre distorsion du mode de scrutin actuel: il tend à créer des monopoles régionaux, comme le monopole libéral qui s’est étiré sur des décennies dans notre région avant de prendre fin, en 2018. Or la démocratie est mal servie quand un tel phénomène se produit. Le monopole fait que la région est soit tenue pour acquise, soit oubliée par le gouvernement en place à Québec.
À la fin, toutes ces distorsions plombent la confiance des électeurs dans le mode de scrutin. C’est ça, l’enjeu central. Les électeurs doivent avoir l’impression que leur vote compte pour quelque chose dans notre système démocratique.
Avec un système proportionnel mixte compensatoire, on peut supposer que l’élection de 2022 aurait donné des résultats différents en Outaouais. On aurait peut-être eu 3 députés de la CAQ (ils ont récolté 42% des voix dans la région), un député libéral (21%) et un député solidaire (13%).
Benoît Pelletier a raison, il faut débattre du mode de scrutin. Mais sans se faire trop d’illusions. Il n’y a pas de système parfait. Chaque mode de scrutin comporte des avantages et des désavantages.
M. Pelletier est bien placé pour en parler, lui qui a piloté une réforme du mode de scrutin dans les années 2000 alors qu’il était ministre au cabinet de Jean Charest. Il a réalisé à quel point l’exercice pouvait être difficile et soulever des passions.
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Sa proposition de migrer vers un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire au Québec s’est butée à l’opposition des régions, qui craignaient de perdre du poids politique. Les députés eux-mêmes s’y opposaient, digérant mal que des députés «de liste» puissent devenir ministre.
Devant un tel tollé, M. Pelletier a dû modérer ses ardeurs. Et s’il a évité de peser sur l’accélérateur à l’époque, c’est que lui-même entretenait des craintes sur le mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire, qui a tendance à produire des… gouvernements minoritaires.
Il jugeait alors que le Québec, tel un village gaulois au Canada et en Amérique du Nord, avait besoin de majorités fortes pour tirer son épingle du jeu. D’autres experts prétendent qu’au contraire, dans un système proportionnel, les partis politiques finiraient par s’habituer à travailler davantage ensemble.
À l’époque où il était ministre, M. Pelletier avait présenté sa réforme du mode de scrutin sous la forme d’un avant-projet de loi qui devait rallier l’assentiment des députés pour voir le jour. Or les députés n’étant plus intéressés à aller de l’avant, M. Pelletier avait clos le dossier en envoyant une lettre au Directeur général des élections du Québec lui demandant de poursuivre l’analyse.
La situation aurait pu être différente si le gouvernement de l’époque avait décidé de procéder par référendum. Encore là, la partie aurait été loin d’être gagnée. La Colombie-Britannique et l’Ontario ont tenu des référendums proposant de faire migrer leur mode de scrutin vers un système proportionnel mixte en 2005 et en 2007. Le camp du non l’a emporté dans les deux cas.
Tout cela ne devrait pas nous empêcher d’en débattre au Québec. «Des voix qui ne sont pas entendues au Parlement risquent d’affecter le tissu social et de provoquer des manifestations», a mis en garde Paul St-Pierre Plamondon. Il a raison. Qu’on pense aux camionneurs qui ont assiégé le centre-ville d’Ottawa, l’hiver dernier…