L’Outaouais, plus malade et orpheline que jamais

L'auteure du texte, la Dre Cynthia Lauriault

À VOUS LA PAROLE / L’histoire de l’Outaouais, c’est la mienne... mais c’est aussi la vôtre et celle de vos proches. Disons votre sœur Martine, pour dire quelque chose.


Martine est jeune, avec des seins généreux, gracieuseté de ses grossesses précédentes. Et elle a remarqué une masse, plus tôt cette année. Mais elle a attendu un peu, comme bien du monde. Des fois que ça serait rien, tsé.

Sauf que c’est pas parti. Et donc elle a tenté de voir son médecin de famille, qui travaille aussi à l’hôpital et qui pédale pour joindre les semaines de garde d’un bord et de l’autre. Et avoir un rendez-vous, c’est ben plate mais ça relève souvent d’un mélange de chance et de miracle. Par téléphone ou par internet, ça change rien.

Bref, Martine a attendu.

Et une fois dans le bureau, on a demandé une mammographie. Mais les délais sont longs. Et Martine a attendu, encore.

Et finalement la mammographie disait pas grand-chose, mais on suggérait une échographie, «vu l’histoire clinique». On allait contacter la patiente. Et Martine a attendu, encore une fois.

Elle a attendu longtemps, pour vrai.

À Gatineau, en ce moment, les femmes comme Martine, c’est 16 mois qu’elles attendent, pour avoir une échographie du sein. Et elles sont 15 000, sur la liste d’attente.

Alors Martine attendra, faute de technologues en imagerie. Eux aussi, ils partent et tombent, faute d’être si peu nombreux, pour suffire à la tâche.

Mais le programme de technique au Cégep, vous demandez? Il n’offre pas la formation d’échographie. C’est juste ailleurs au Québec, ça. Pas ici.

Et le CISSSO tentera de se virer de bord et d’en engager via des agences privées, des technologues, qui seront payés plus que le double de ceux qu’on aura brûlés.

Mais Martine attendra encore pareil, pour son échographie. Parce que même ça, c’est pas assez.

Et on finira par le trouver, son cancer du sein. Mais on voudra ensuite le voir comme il faut, avec une résonance magnétique dédiée.

Une IRM comme on en a deux, à Hull, chez nous, dont une flambant neuve, qui a coûté de reluisants millions.

Sauf qu’on manque de technologues là aussi, vous voyez. Juste aujourd’hui, pour dire de quoi, on avait un seul technologue pour opérer une seule IRM, alors qu’on en aurait besoin de deux par machine. Et donc vous devinez que la deuxième IRM dort bien tranquille dans son coin, non utilisée, avec probablement l’envie de brailler devant les milliers de patients qui sont sur sa liste pour venir la voir, dans l’espoir d’avoir des réponses sur leur santé.

Des patients comme Martine, par exemple, qui finira éventuellement par l’avoir, son IRM. Et à qui on proposera des traitements.

Comme des traitements de radiothérapie, pour dire quelque chose.

Sauf que là aussi, voyez-vous, on manque de technologues, en radio-oncologie. C’est différent, mais ça revient au même problème; on manque de bras. En fait, juste ce mois-ci, trois autres technologues en radio-oncologie sont partis de Gatineau... pour aller travailler à Ottawa, passant de 25$ de l’heure à 39$, selon ce qu’on dit. On ne peut pas les blâmer, me direz-vous.

Sauf que Martine, elle, a envie de blâmer quelqu’un.

Elle a envie de crier haut et fort qu’elle ne peut avoir ses traitements de cancer dans les délais optimaux, faute de personnel, au CISSSO.

Elle a envie de crier qu’elle n’a pas envie de s’en aller à Montréal, pour les semaines de radiothérapie nécessaires, loin de ses enfants et sa famille. Elle n’a pas envie des coûts associés ni du stress qui viendrait avec, non plus.

Martine n’a pas envie de vivre ses traitements de cancer seule, en ville. Elle voudrait pouvoir être soignée chez elle, ici, en Outaouais, dans notre beau centre de cancérologie tout neuf. Tsé, le même centre pour lequel la Fondation Santé Gatineau ramasse des centaines de milliers de dollars en dons et levées de fonds, chaque année.

Celui-là, c’est le centre que Martine veut. Mais pour ça, Martine devrait attendre.

Et un moment donné, le cancer, lui, n’attendra plus.

Alors vous me le direz, qui Martine devrait blâmer. Vous me direz, vers qui elle peut se tourner.

Parce que Martine a beau être fictive, elle ne l’est pas tant que ça. Martine, c’est un peu moi, un peu vous, un peu nous tous.

Et Martine mérite qu’on s’offusque avec elle.

Auteure: Cynthia Lauriault, MD, médecin de famille œuvrant auprès des soins des aînés et des soins palliatifs à domicile, CISSS de l’Outaouais, ancienne ambassadrice de la Marche en rose de la Fondation Santé Gatineau, patiente du Centre de cancérologie de Gatineau