Chronique|

On n’est pas au pays des talibans

Une œuvre d'art publique du Sentier culturel de Gatineau a été vandalisée par une commerçante du Vieux-Hull.

CHRONIQUE / Il faut dénoncer le geste de cette commerçante qui a vandalisé une œuvre d’art public, au centre-ville de Gatineau. Un geste inacceptable, injustifiable. 


On parle d’une œuvre d’art public, approuvée par la Ville de Gatineau, peinte dans l’espace public. Une fresque qui rend brillamment hommage au passé ouvrier du Vieux-Hull.

Une œuvre qui appartient à la collectivité.

De quel droit, une commerçante, sous prétexte qu’elle n’aime pas le message véhiculé par l’œuvre, déciderait-elle de la faire disparaître?

Car c’est ce qu’elle a fait en recouvrant d’une épaisse couche de couleur rouge la partie de l’œuvre peinte sur le trottoir, devant son commerce.

Son geste est non seulement ignoble, il est sans doute aussi illégal (la police fait enquête). J’ajouterais qu’il est violent. Violent envers l’artiste, violent envers tous ceux qui apprécient la fresque.

Tout le monde a le droit d’avoir son opinion sur une œuvre d’art.

On peut aimer ou détester Picasso, Rothko ou Bansky, et en discuter à l’infini. C’est le propre de l’art de faire réfléchir, réagir, voire de provoquer...

Il y a toute sorte de manières appropriées de réagir à une oeuvre d’art. Mais rien ne justifie la censure. Rien ne justifie la destruction d’une oeuvre sous prétexte qu’elle ne colle pas à nos valeurs.

Le Canada n’est pas le pays des talibans.

L’artiste, Alexandre Deschênes, a choisi de dénoncer publiquement le geste de la commerçante. Pour lui, c’est le symptôme d’un mal plus grave, cette idée qu’on peut s’attaquer impunément à l’art public.

L’art est pourtant un si beau moyen de revitaliser le centre-ville. Avec sa fresque, Alexandre Deschênes rend hommage au passé industriel de la rue Eddy. Il avait inclus à son œuvre les mots d’un ouvrier des années 1930 à sa femme: «Mes amours, les nouvelles sont mauvaises, y vont couper dans les salaires. C’t’un coup sur un sale temps, tout’ ferme, la shop y échappera pas…»

Ce sont ces mots que la commerçante a fait disparaître sous prétexte qu’ils allaient à l’encontre de ses valeurs, qu’ils véhiculaient un message négatif. Pourtant, ce n’est pas en se shootant au positivisme qu’on va changer le monde! La commerçante a refusé de commenter son geste dans Le Droit. Je regrette son silence. J’aurais aimé qu’elle s’assume jusqu’au bout.

Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’une œuvre d’art est censurée. Le saccage de l’œuvre de la rue Eddy a cependant un aspect particulier, note Valérie Yobé, professeur en design graphique à l’UQO: «Les gens qui vandalisent des oeuvres d’art public en connaissent généralement la valeur. Pas ici. Ici, ça semble être de l’ignorance.»

La rue est une agora, insiste-t-elle. Un espace public qui appartient à tout le monde. L’art y a sa place. Et pas juste l’art esthétique, l’art engagé aussi.

Les villes doivent être les gardiennes de cet art public. 

La bonne nouvelle, c’est que la Ville de Gatineau prend l’affaire au sérieux. Et mène enquête. C’est la moindre des choses, la fresque de la rue Eddy étant une oeuvre commissionnée par la Ville de Gatineau, dans le cadre du Sentier culturel.

L’autre bonne nouvelle, c’est qu’Alexandre Deschênes compte repeindre la portion effacée de son œuvre. Au même endroit, sur le trottoir, devant le commerce de la dame. «Le texte de la lettre va revenir, plus fort, plus apparent encore que la première fois», promet-il.

Cette fresque vandalisée démontre une chose: la force prodigieuse des images, des mots et des œuvres d’art dans tous les lieux, toutes les époques…