À l’occasion d’une recherche que je menais sur la culture à Québec, j’ai eu l’occasion de rencontrer L’Allier. Au jour, assis à la table d’un restaurant, il me lance : «Sais-tu comment j’ai retenu les artistes Robert Lepage et Bernard Labadie à Québec alors qu’ils envisageaient d’aller s’établir à Montréal?»
Réponse: «En leur offrant un lieu de création et de production. J’ai fait rénover une ancienne caserne de pompier sur la rue Dalhousie pour Robert Lepage et fait doter la salle Raoul Jobin du Palais Montcalm d’un acoustique de haut niveau pour Bernard Labadie et ses Violons du Roy».
On connaît la suite; les deux sont encore à Québec et contribuent au rayonnement de la ville. Mieux encore, Robert Lepage a fait édifier le Diamant, à Place d’Youville, un lieu de création parmi les mieux équipés au monde.
L’âme d’une ville se construit tous les jours. La ville de Québec a beau présenter un passé attachant, si le présent n’est pas en mouvement, la ville restera figée dans son passé. L’Allier l’avait compris.
Gatineau est sur le point de vivre une situation qui lui permettrait de sortir de l’ombre d’Ottawa.
Elle pourrait empêcher les futures Jean Desprez et les futurs Guy Sanche et Jean Dallaire de s’installer à Montréal ou à Saint-Paul de Vence.
La Ville et les gouvernements du Québec et d’Ottawa ont l’occasion d’appuyer la réalisation de trois projets immobiliers, pilotés par les créateurs eux-mêmes, qui leur permettraient de créer et de produire leurs œuvres ici.
Il s’agit tout d’abord d’un agrandissement de la Filature. Après une vingtaine d’années d’activités, les deux centres d’artistes établis dans l’ancienne usine de la rue Hanson souhaitent élargir leur action et accueillir davantage d’artistes d’ici et d’ailleurs.
Ensuite, le bâtiment no 9 situé au 100 Gamelin, qui n’en finit plus de se dégrader, pourrait devenir un Centre des arts de la scène animé par deux organismes d’ici qui débusquent les talents des artistes et les accompagnent sur la voie du succès: l’Avant-Première et l’Artishow.
Et enfin, le projet de la coopérative Les Ateliers du Ruisseau, qui propose la construction au centre-ville d’un bâtiment de quatre étages et demi, entièrement en bois, qui appartiendrait aux artistes (comme Méduse, à Québec) et qui offrirait trois étages d’ateliers de création et de production et un étage et demi consacré à la diffusion en accueillant, entre autres, la galerie Montcalm et la collection permanente de la ville, l’une de plus importantes du genre au Québec.
Comprenons-nous bien. Gatineau offre plusieurs lieux de diffusion en arts de la scène avec la salle Odyssée, fraîchement rénovée, la salle Jean-Desprez, la Basoche et j’en passe. Même chose pour les arts visuels avec la Galerie Montcalm, Arts-image, l’Espace Pierre-Debain, etc.
Mais, ces lieux accueillent les œuvres seulement une fois terminées. En l’absence de lieux de création et de production, les artistes doivent s’exiler pour travailler et souvent ne reviennent pas. Ou pire encore, de guerre lasse, ils décident abandonner leur rêve artistique, d’opter pour un second choix de carrière et de priver la société du fruit de leur imaginaire. Autant de Mozart assassinés.
Ces trois projets culturels contribueront à retenir ici nos entrepreneurs artistiques et à insuffler à la ville une âme et une identité qui la distingueront d’Ottawa et des autres villes du Québec et du Canada.
Une occasion historique pour la Ville et nos gouvernements.
Yvon Leclerc, Gatineau