Le refuge pour sans-abri de Gatineau compte 58 chambres, réparties en deux sections: une pour les hommes, une pour les femmes.
Il est interdit de découcher, de fumer dans les chambres, d’insulter les gens, encore moins d’être violent.
T’as droit à une bouteille d’eau et un livre dans ta chambre. C’est tout. Et tu dois prendre une douche par jour.
Le couvre-feu est à minuit, tu libères la chambre pour 10h.
Pour conserver ta chambre, tu dois payer 5$ par jour ou réaliser des tâches: laver les douches, vider les poubelles, désinfecter les portes…
Au moindre accroc, tu perds ta chambre. Tu te retrouves sur la liste d’attente, derrière tous les autres.
«On cherche à mobiliser, à responsabiliser les usagers», m’explique Gabrièle Maurice, chef d’équipe au Gîte Ami.
Des entorses au règlement, il y en a toujours. Chaque soir, des chambres se libèrent. Pour être comblées aussitôt. Il y a un roulement constant, mais c’est un faux roulement, m’a-t-on expliqué. Grosso modo, ce sont presque toujours les mêmes usagers qui occupent les chambres et la liste d’attente.
Certains sont là depuis des années.
Au poste de garde, on les connaît bien, on s’informe d’eux. Comment va Nina* aujourd’hui? As-tu vu passer Louis*?
Parfois, le roulement se fait au rythme des aller-retour en prison.
On m’a parlé d’un cas de santé mentale. Quand le gars sort de taule, il est bien, il a pris ses médicaments, il s’est tenu loin de la drogue. À sa sortie de prison, on lui offre de la réhabilitation ou d’habiter chez des proches. Celui-là préfère la rue. C’est son choix!
Sauf qu’après quelques jours, il se désorganise. Recommence à consommer. Frappe des usagers. Retourne en prison. Et une chambre se libère au Gîte Ami…
Ce qui a changé avec la crise du logement, c’est le type de gens qui cognent à la porte du refuge.
De plus en plus d’aînés, relate Gabrièle.
Typiquement, un vieux monsieur, une vieille dame, qui a perdu son conjoint. Et donc, souvent, son seul soutien. Et donc, aussi, la moitié de ses revenus. Et donc, par la bande, très souvent, son logement.
L’autre jour, un intervenant du système de santé insistait pour confier une dame en fauteuil roulant au Gîte Ami. «On ne peut pas la prendre, on n’est pas équipés pour ça», a soupiré Gabrièle Maurice. Vous imaginez un aîné en marchette, dans la cour du Gîte, avec le gars qui sort de prison? Ça ne marche pas.
Outre les aînés, on voit aussi des familles cogner à la porte du Gîte. Des gens peu en moyens, incapables de se trouver un logement avec la crise actuelle des loyers Le Gîte les relaie ailleurs, à des organismes mieux équipés. Mais avec une attente de deux ans pour obtenir un logement abordable, la situation est critique.
Un avant-midi au poste de garde
Au poste de garde du Gîte Ami, il y a trois intervenants ce matin-là.
Derrière les baies vitrées, ils contrôlent les allées et venues entre les chambres, les toilettes et le réfectoire où les sans-abri prennent leurs repas, font des appels ou passent le temps.
C’est jeudi, jour du chèque d’aide sociale.
En descendant de leur chambre, des usagers s’arrêtent au poste de garde. «Ai-je reçu du courrier?», demandent-ils. Comme ils n’ont pas d’adresse fixe, c’est le refuge qui reçoit la poste pour eux et la classe dans des dossiers à leur nom. Si l’usager a reçu un chèque, un intervenant l’aide à remplir une attestation d’identité qui lui permet de l’encaisser à la banque.
Mais ce n’est pas toujours si simple.
Arrive Bruno* au poste de garde. «Ai-je reçu mon chèque?» L’intervenant l’accueille d’un froncement de sourcil. «Ton chèque? Es-tu sûr d’avoir rempli le formulaire pour obtenir de l’aide sociale?» On fournit le numéro de l’aide sociale à Bruno. Il s’enferme dans une pièce, avec un téléphone. Il en ressort une demi-heure plus tard. «Je n’arrive pas à parler à quelqu’un», se plaint-il.
Jamais on n’a vu des employés de l’aide sociale débarquer au Gîte pour aider les usagers à remplir leurs formulaires, disent les intervenants. Ce serait une bonne idée pourtant. De la même manière qu’une équipe volante de médecins, d’infirmiers, d’éducateurs et de travailleurs sociaux font le tour des sites d’itinérance pour s’informer de l’état de santé de chacun, pour rédiger des ordonnances, des références…
La crise du logement en deux chiffres
En principe, les usagers n’ont pas le droit d’entrer dans le poste de garde, un espace fermé, cerné de fenêtres et de barreaux, d’où l’on contrôle les portes du refuge. Mais quand les usagers sont tranquilles, on tolère que certains viennent faire un bout de conversation dans le poste.
Arrive Louis, grand gars efflanqué, hoodie noir et manteau de cuir, à l’âge indéfinissable. Il s’affale sur une chaise en grimaçant. «Ah, mon lombago», gémit-il, la main crispée sur ses lombaires.
Il est presque 10 h, heure à laquelle tous les usagers du refuge doivent avoir libéré leur chambre. Du poste de garde, on les voit descendre. Ils s’arrêtent au poste pour réclamer une brosse à dents, une serviette, de la crème à rasage, des bas propres, une pipe à crack…
De la chaise où il est affalé, Louis interpelle les usagers qui se présentent à au poste. Hé Pavarotti!, lance-t-il à un barbu qui ressemble au célèbre ténor. Hé, Stevie Wonder!, dit-il à un autre avec d’épaisses lunettes de soleil. «Oh man, dit celui-là à Louis. J’ai de la misère à me reprendre en main.»
Louis secoue la tête d’un air navré. «C’est le prix du logement qui nous tue, man. Quinze cents piastres par mois pour un deux chambres ! Ils veulent pas qu’on s’en sorte!» C’est ainsi qu’on mesure l’écart pour se sortir du trou au Gîte Ami: 1500$ de loyer mensuel, contre des revenus d’aide sociale de 700$ par mois.
Ça non plus, ça ne marche pas.
La tente maritale
À l’extérieur du Gîte Ami, Marie* prend un bain de soleil avec son chum.
«Il y a 6 mois, on avait une maison avec quatre chambres à coucher, un garage, un grand terrain…», raconte-t-elle.
Ils ont tout perdu. Emploi, maison, meubles… Une série de facteurs, amplifiés par la COVID, a provoqué leur chute, m’explique Marie qui affirme avoir fait carrière comme décoratrice intérieure.
Bref, ces jours-ci, ils passent leur nuit au Gîte Ami. Elle dans la section réservée aux femmes. Lui, dans la section réservée aux hommes.
Le jour, ils vivent dans une tente, au milieu d’un campement de fortune érigé à l’ombre d’un bosquet, derrière le refuge.
Un campement illégal toléré par la Ville tant qu’il demeure invisible de l’autoroute, m’a-t-on expliqué.
Marie me pointe leur tente en disant : «Elle sert moins à dormir qu’à jouir d’une intimité maritale». Devant mon air perplexe, son chum précise: En bon québécois, pour le cul, on va dans la tente. En plein ça!, approuve Marie.
À part ça, quels sont vos plans?
«Nos plans? C’est un gros point d’interrogation, admet Marie. On a appelé à peu près partout. On nous a donné le numéro de Logemen’Occupe. C’est beau en théorie, mais ça prend quand même deux ans avant d’avoir un estie de logement pour des personnes à faible revenu ou en itinérance…»
Moment de silence.
«C’est vraiment difficile de se relever d’un mauvais pas, poursuit-elle. Regarde le prix des appartements. C’est rendu 1500$ pour un deux chambres! Comment tu fais pour te payer cela avec des revenus de 700$ par mois? Je suis en invalidité, je dois me faire remplacer la hanche…»
Encore ces deux chiffres, 1500 et 700, séparés par un gouffre insondable.
L’espoir
Comment sort-on de l’itinérance?
Le Gîte Ami offre un «continuum» de services en cinq étapes vers un logement privé ou communautaire, qui passe par de l’hébergement de transition. Roxanne a suivi ce chemin. Après un hiver à coucher dehors avec son copain, dans une tente, elle a réussi à reprendre le dessus.
«On n’allait pas bien financièrement. On a eu des tickets à payer, on s’est ramassés dans la rue. Je buvais un peu trop aussi. Ce qui m’a amené à dépenser mon cash vers la consommation plutôt qu’à payer mon loyer.
«J’ai commencé par trouver refuge au Gîte qui n’est pas la meilleure place où rester. Ensuite, on m’a parlé du programme Le Transit. Ils m’ont aidé à avoir de nouvelles cartes d’identité. À remettre ma vie en place. J’ai réussi à me trouver un appartement. J’y habite depuis un an. Je me suis éloigné de la consommation. Là, ça va bien.»
Et la crise du logement?
«On a trouvé un logement à 900$ par mois qu’on paie à deux. Pour la bouffe, quand on en manque, on fait affaire avec des organismes d’entraide, des amis, des parents. On va manger à la Soupière de l’amitié. La bouffe est bonne. Mais la vie coûte cher… Juste une brassée de lavage à mon bloc, c’est 2,85$…»
Suivez-vous la campagne électorale, Roxanne?
«J’aimerais ça être en politique, je changerais le monde», dit-elle.
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Elle a plein d’idées. Plus de programmes pour les jeunes toxicomanes. De la bouffe saine dans les centres alimentaires. Une loi pour obliger les toxicomanes à suivre une thérapie. «La drogue t’éloigne de ta famille, de tes amis. Ça t’isole alors que tu as tant besoin d’aide!»
*Noms fictifs