«Catastrophique», déplore le sociologue Richard Marcoux, directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone à l’Université Laval. De 4,4% qu’il était en 2001, le poids des francophones vivant en contexte minoritaire n’est aujourd’hui que de 3,3% et si cette tendance se maintient, il pourrait n’être que de 3,1% en 2036. La réaction quasi unanime des organisations de défense des communautés francophones et acadiennes du Canada a été, et avec raison, de rappeler le gouvernement fédéral à ses devoirs en matière d’immigration francophone à l’extérieur du Québec.
Parce que, oui, une grande part de la solution pour renverser ce déclin est bel et bien l’immigration de locuteurs francophones. Malheureusement, les promesses faites aux communautés depuis le début des années 2000, avec cibles à la clé, n’ont pas été respectées. Si les cibles avaient été atteintes entre 2008 et 2020, environ 76 000 personnes de plus seraient venues gonfler les rangs des communautés francophones, selon une étude du Commissaire aux langues officielles.
L’évoquer suffit à faire poindre l’exaspération chez Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA). Sans une immigration suffisante, c’est la vitalité de ces communautés et la pérennité des institutions et services essentiels à leur épanouissement qui seront en péril. Cela est particulièrement vrai dans les petites communautés et les institutions post-secondaires de petite taille.
On en parle peu au Québec, mais oui, des immigrants francophones qui s’installent dans le reste du pays choisissent bel et bien de vivre en français. D’un bout à l’autre du pays, on voit des gens venus d’Afrique, du Moyen-Orient, de Haïti ou d’ailleurs qui contribuent à la vitalité des institutions scolaires, communautaires, culturelles, économiques francophones. «Le visage de la francophonie à Ottawa évolue vers une plus grande diversité», souligne Soukaina Boutiyeb, présidente de l’Association des communautés francophones d’Ottawa.
Le milieu scolaire en est un bel exemple. Au Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO), on recense 96 langues parlées et des élèves avec des racines dans plus de 130 pays. Au Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE), près de 3000 des 25 500 élèves sont originaires d’environ 115 pays autres que le Canada.
Et beaucoup de ces enfants ont des parents qui s’engagent. Warsama Aden, originaire du Djibouti, en témoigne. Pour lui, immigrer au Canada ne voulait pas dire abandonner le français et il tenait à ce que ses enfants soient éduqués et puissent vivre dans cette langue. Il le dit lui-même, il a fait sien le combat des Franco-Ontariens. «Je suis, nous sommes Franco-Ontariens.»
Après avoir été membre du conseil de l’école Francojeunesse, que fréquentent deux de ses enfants, il est devenu conseiller du CEPEO en septembre 2020 pour représenter les secteurs Rideau-Vanier et Rideau-Rockliffe. Il espère l’être encore au lendemain des élections d’octobre.
Il n’est pas le seul à vouloir s’engager de la sorte. Cinq candidats et candidates issus de l’immigration briguent un poste de conseiller dans un des sept secteurs ottaviens du CEPEO. Deux autres sont sur les rangs pour un des huit sièges ottaviens du CECCE.
Ces nouveaux arrivants sont actifs et présents parce que les communautés leur ont tendu la main, dit Mme Boutiyeb. Des programmes «communautés accueillantes» ont été mis en place et du soutien, offert dans les institutions de la minorité linguistique, résume Mme Roy.
Mais comment avoir des places dans les écoles, les garderies, les centres communautaires quand le financement est souvent proportionnel à la taille de la population francophone? Bref, moins nombreux on est, moins on a d’aide financière et moins on est capable d’élargir la communauté. Un cercle vicieux.
D’où l’importance d’accroître l’immigration francophone. Pour cela, on ne peut pas conserver les vieilles cibles car il y a du rattrapage à faire, soulignent Mmes Boutiyeb et Roy. Et pour cela, il faut une politique et vite, assortie de cibles contraignantes et faisant l’objet d’une reddition de comptes, exige la FCFA, qui a proposé ses propres cibles et veut un examen «avec une lentille francophone» de tous les volets du programme d’immigration.
Il revient aux gouvernements fédéral, provincial et municipaux d’apporter les correctifs nécessaires. M. Aden note par exemple que les taxes scolaires sont automatiquement versées aux conseils scolaires publics anglophones si les parents ne complètent pas les formulaires pour choisir un conseil scolaire francophone.
Le traitement des permis d’étude aux étudiants étrangers francophones, surtout ceux venant d’Afrique, est simplement inacceptable. Le taux de refus moyen est estimé à 80%, rappelle Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales, de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne.
Si le Québec en subit les effets depuis quelques temps, les communautés francophones se battent contre cela depuis près de 15 ans. Il est difficile de ne pas y voir un biais ou un préjugé systémique, ce dont Ottawa se défend. Mais l’écart avec le taux de refus des demandes anglophones doit être expliqué. Et, surtout, être corrigé de toute urgence.