Moins d’exercice à cause des mesures sanitaires?

L’affirmation: «L’inactivité physique est un sérieux problème de nos sociétés occidentales, et ce problème a été considérablement aggravé au cours des deux dernières années, notamment par les mesures du gouvernement Legault pendant la pandémie», a indiqué le Parti conservateur du Québec cette semaine, lors de l’annonce d’un crédit d’impôt pour encourager l’activité physique.


LES FAITS

Il y a deux choses dont il faut tenir compte, ici : les effets immédiats des mesures sanitaires et le degré auquel la population retourne à ses anciennes habitudes d’exercice une fois que lesdites mesures sont levées.

Il fait peu de doute que, dans l’ensemble, les confinements, fermetures de gym, télétravail et compagnie ont nui à la forme physique des populations touchées, du moins à court terme. De nombreuses études l’ont documenté de plusieurs manières différentes. Ainsi, une revue de la littérature scientifique à ce sujet parue en début d’année dans Current Developments in Nutrition a dénombré 14 études qui ont suivi le poids de leurs participants au cours de l’année 2020, dont la grande majorité (12) a observé un gain de poids. D’autres résultats parus par la suite ont suggéré que cette prise de poids pourrait avoir été relativement modeste — certaines ont mesuré des hausses variant entre 0,1 et 0,3 kg —, mais la tendance générale est claire et certaines études, dont une qui vient de paraître dans la revue médicale Pediatrics, suggèrent que les jeunes pourraient avoir été touchés plus durement que la moyenne (ce dont le communiqué du PCQ s’inquiète par ailleurs).

Dans la même veine, nombre de chercheurs d’un peu partout dans le monde ont observé une baisse de l’activité physique pendant la pandémie. Les tendances sont un peu moins nettes que pour le poids corporel, cependant : une revue systématique de 57 études en a compté 32 qui concluaient que les gens ont fait moins d’exercice en 2020 qu’avant la pandémie, 5 qui ont trouvé une augmentation de l’activité physique et 14 qui n’ont pas observé de signal clair. L’ensemble pointait quand même vers une baisse de l’exercice, et mentionnons que la plupart des études basées sur des mesures objectives (des compteurs de pas, par exemple) au lieu de se fier à ce que rapportaient leurs participants ont mesuré de très fortes diminutions, allant jusqu’à 40 % au printemps 2020.

Au Québec, l’enquête MAVIPAN au sujet des effets de la pandémie et des mesures sanitaires sur les habitudes de vie a trouvé que «durant la première vague, les gens très actifs rapportaient qu’ils faisaient un peu moins d’exercice, mais ceux qui étaient complètement sédentaires avant la pandémie disaient qu’ils étaient devenus un peu plus actifs, dit le chercheur de l’Université Laval Jean-Pierre Després, qui a mené l’étude. Il faut faire attention parce que c’est autorapporté [donc moins fiable que les mesures objectives, NDLR], mais ça demeure possible que certaines personnes aient eu plus de temps pendant les confinements et qu’ils en aient profité pour marcher plus souvent le soir, par exemple».

L’Institut de la santé publique du Québec (INSPQ) a noté une forte baisse de l’activité physique autorapportée au printemps 2020, alors que près de la moitié de la population (47 %) disait faire moins d’exercice qu’avant la pandémie. De son côté, à l’automne 2020, Statistique Canada n’a pas constaté de différence entre les niveaux d’activité physique des adultes, comparé à 2018 — mais il y avait quand même une baisse très marquée chez les ados.

Alors il semble difficilement contestable que les mesures sanitaires aient pu nuire à la forme physique des Québécois, même si cela ne s’est pas manifesté également chez toutes les catégories de gens. La question est : maintenant que ces mesures ont été abandonnées, est-ce que le niveau d’activité physique est revenu à la normale prépandémique? Le Parti conservateur en parle comme si cet effet des confinements se faisait toujours sentir mais, de ce point de vue, c’est pas mal moins évident.

«Comme tout changement dans les habitudes de vie, ça prend du temps avant de pouvoir le mesurer complètement, dit Julie Riopel-Meurnier, en charge du suivi de l’activité physique [entre autres] à l’INSPQ. C’est encore trop tôt pour savoir avec assez de certitude si le déconfinement va permettre un retour complet à la normale ou s’il va rester des effets à long terme. La littérature scientifique là-dessus suggère qu’on devrait revenir aux niveaux qu’on avait avant la pandémie, mais il n’y a pas encore beaucoup de données concrètes là-dessus.»

Celles de l’INSPQ suggèrent qu’il y a eu des reprises de l’activité physique entre les confinements. Alors que 47 % des gens disaient faire moins d’exercice qu’à l’habitude en avril 2020, ils n’étaient plus que 31 % à la fin de mai. Cette proportion a regonflé à 45-50 % lors du resserrement suivant des mesures sanitaires, mais a diminué graduellement par la suite jusqu’à 32 % à l’automne 2021. Cet indicateur s’est de nouveau approché des 50 % lors du confinement du dernier temps des Fêtes, mais n’était plus que de 27 % cet été.

Il est possible qu’il reste encore un peu des «mauvais plis» pris pendant la pandémie puisque, en juillet, il y avait un peu moins de gens qui disaient faire plus d’exercice (20 %) qu’il y en avait qui rapportaient en faire moins (27 %), mais l’écart était relativement faible. De même, une étude parue à la fin d’août dans The Lancet – Global Health et basée sur les comptes de pas quotidiens de plus de 1 million de personnes dans 200 pays a conclu qu’au début de 2022, les niveaux d’activité physique demeuraient globalement 10 % inférieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie, bien qu’ils avaient repris une grande partie de ce qu’ils avaient perdu au printemps 2020. Mais tout de même : cette étude montre aussi qu’en Amérique du Nord, le nombre moyen de pas effectués chaque jour était déjà revenu à la normale prépandémique à l’automne 2021, avant que l’arrivée du variant omicron n’incite les gouvernements à resserrer les mesures de distanciation, ce qui a fait de nouveau reculer cet indicateur.

Rien de tout cela, s’il faut le préciser, ne signifie que l’idée de base avancée par le PCQ d’encourager l’exercice est mauvaise — «ça n’allait déjà pas bien avant la pandémie», rappelle M. Després. Mais cela montre qu’il n’est pas évident du tout que l’effet des mesures sanitaires sur l’activité physique demeure toujours fort et qu’il persistera à long terme.

LE VERDICT

En bonne partie vrai, mais incomplet. Il est indéniable que les confinements, les fermetures de gym et d’autres mesures de distanciation ont nui à l’activité physique. Dans l’ensemble, la littérature scientifique le montre bien. Mais les quelques données dont on dispose présentement suggèrent que la population aurait repris ses niveaux d’exercices d’avant la pandémie, ou du moins qu’elle s’en approcherait.

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