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L’inflation amoureuse

CHRONIQUE / Eh oui! Encore article sur l’inflation… Sauf que cette fois, je ne vais pas me contenter de vous parler du prix de l’essence, de la bouffe ou de l’alcool qui augmente, mais bien d’un aspect de votre vie qui regroupe toutes ces choses. Avez-vous déjà pensé à comment l’inflation affecte votre quête de l’âme sœur?


Je n’y avais pas vraiment pensé avant de recevoir ce curieux communiqué de presse dans ma boîte courriel: Dating.com révèle que l'inflation perturbe nos budgets et nos vies amoureuses. J’ai trouvé le titre assez ironique quand on sait que dating.com est une plateforme qui demande que l’on paye à l’action: ça veut dire que plus vous interagissez avec des célibataires sur l’app, plus vous payez.

Mais bon, trêve de jugement de valeur, vu que leur entreprise possède plusieurs services de dating à travers le monde, leurs observations pouvaient être intéressantes. Elles indiquent que 67% des répondants à leur sondage disent avoir réduit leur budget alloué aux soirées romantiques et 52% d’entre eux se prétendent même heureux de prévoir moins de rendez-vous pour éviter de payer pour tout le tralala (essence, vêtements, repas, boissons, etc.).

Lysa avoue se sentir de la sorte depuis quelque temps. À 30 ans, elle occupe une bonne position dans son emploi à Montréal, mais elle trouve qu’après avoir payé le loyer, l’essence et son épicerie, il ne reste plus grand-chose pour sortir à la rencontre de potentiels partenaires amoureux. 

«Entre faire une sortie avec mes amis ou une date avec un inconnu avec qui je n’ai aucune idée si ça va cliquer, je dois faire des choix», explique-t-elle. Ça fait maintenant un peu plus de trois ans qu’elle navigue de temps à autre sur les applications de rencontre. Avant, elle sortait beaucoup plus, mais plus les prix augmentent, moins elle se le permet. 

«Je me sens un peu gênée [surtout à 30 ans], d’aborder éventuellement le sujet de l’argent, parce que j’ai beaucoup de dettes d’études, aucun argent de côté, et j’y arrive juste», ajoute-t-elle. Pour elle, aller boire un verre, pourquoi pas, mais le restaurant, on oublie ça. 

En effet, comme le rapportait un article de La Presse ce printemps, 83% des propriétaires de restaurant disaient devoir augmenter les prix sur leur carte, selon une enquête menée fin 2021 par HRImag et l’Association Restauration Québec. Après avoir interrogé plusieurs restaurants, le média a constaté une augmentation moyenne des prix entre 10 % à 15 % par rapport à il y a deux ans. En mai dernier, la SAQ annonçait également sa deuxième hausse des prix en quelques mois.

Ici, il est question de sorties plus ou moins mondaines, mais vous n’avez même pas besoin de sortir de chez vous pour être fauché par votre vie amoureuse. 

En 2019, les journalistes Judith Duportail and Nicolas Kayser-Bril ont publié une enquête dans laquelle ils ont tenté d’étudier comment l'architecture d'une application de rencontre influence le comportement des utilisateurs. Résultats? «[…] le taux de succès moyen pour une femme est de 50 %, et pour un homme de… 2 %. Cette différence permet à Tinder de vendre de juteuses options payantes», pouvait-on lire dans leur texte publié en avant première dans le journal Le Monde.

Afin de trouver l’amour, beaucoup sont prêts à payer les options «premium» des différentes applications de rencontre. Ces fonctionnalités vous permettent souvent d’avoir une meilleure vue d’ensemble de l’application et vous offrent une sélection qui serait plus adaptée à votre profil. Ces services souvent assez dispendieux, à payer chaque mois, s’adressent à un public bien particulier. 

En vérité, ce n’est pas tout le monde qui a la même chance sur les sites de rencontre, et ça, les compagnies le savent. Selon une association australienne de défense des consommateurs qui a mené l’enquête en 2020, Tinder ferait payer les hommes hétérosexuels de plus de 50 ans presque cinq fois plus que d’autres utilisateurs pour accéder à un compte premium.

L’amour dicté par le capital

«Ça coûte très cher. Quand tu es en date, il y a comme cette idée de parade, montrer que ça va, que tu peux payer la facture. En fait, c’est plus un move stratégique envers ta date que quelque chose que tu peux te permettre financièrement», pense l’humoriste Liliane Blanco-Binette. 

Ça fait un petit moment que je la suis sur TikTok et j’aime bien les vidéos où elle se prépare avant d’aller rencontrer ses dates Tinder. «Je ne vais pas à tant de dates que ça», dit-elle en riant, mais tout de même, elle pense avoir dépensé quelques centaines de dollars pour ses rendez-vous galants au courant de l’été. 

«On dépense dans toutes les sphères préparatoires d’avant date, pendant la date, après la date si on se revoit. J’ai l’impression qu’il faut que tu sois dans un stade assez confortable avec un ou une partenaire pour parler d’argent et dire: “hey, tu me ferais-tu un virement pour ça?”» ajoute-t-elle. 

En fait, on veut impressionner l’autre et lui montrer que tout va bien. Sans sortir la grosse liasse de billets ou la voiture de luxe, ne pas montrer de signe de stresse financier, ça donne l’impression à notre partenaire que la vie avec nous est simple et douce. On a envie d’oublier le temps de quelques sorties la violence de notre système économique et la précarité du monde. 

En fin de compte, avec Liliane, on a conclu que la recherche de l’amour est de moins en moins accessible. Faire la cour est un privilège réservé aux plus nantis d’entre nous. Ça a toujours été le cas dans un capitalisme sauvage sans vergogne, me direz-vous. Vous avez bien raison. 

Je constate simplement que les inégalités se creusent de plus en plus, même en amour.  Plus que jamais, faut-il être riche pour trouver sa douce moitié en 2022? J’espère que non.