Le phénomène dénoncé et qui fera l’objet d’une enquête de la Commission municipale n’est pas non plus sans rappeler les mouvances que connaît actuellement le monde du travail. Aujourd’hui, on parle de l’hôtel de ville de Trois-Rivières, mais il y a eu bien des dénonciations dans l’espace public de comportements qui ne sont plus tolérés aujourd’hui, de gestes ou de remarques sexistes, misogynes, racistes même, que l’on pouvait autrefois tolérer au nom d’on ne sait trop quelle habitude. Des débats entourant le #metoo jusqu’à ceux défendant l’utilisation du «mot en N», mais également des mauvais plis que nous aura fait prendre le télétravail en pandémie, les spécialistes en ressources humaines constatent aujourd’hui à quel point la demande est immense pour ramener le civisme au travail.
Les exemples ne manquent pas en politique autant que dans le monde du travail. Encore cette semaine, la ministre Chrystia Freeland a été violemment invectivée par un homme alors qu’elle s’apprêtait à entrer dans un ascenseur. Une agression verbale qui a été dénoncée par les politiciens à travers le pays.
C’est à la demande du ministère des Affaires municipales, qui souhaitait documenter le phénomène du harcèlement envers les élus municipaux cette fois, que la recherche a été menée à l’UQTR. En plus d’une revue de littérature internationale et de veille médiatique du phénomène partout dans le monde, Mireille Lalancette a aussi pu mener des entrevues auprès d’élus et d’anciens élus, hommes et femmes, de 30 à 80 ans et de toutes les régions du Québec, qui en avaient tous très long à dire sur le sujet.
Résultat? Tous disent avoir déjà vécu du harcèlement direct ou indirect de la part de citoyens, mais aussi de la part de confrères et consoeurs élus. Des insultes, de l’intimidation, du non-respect, allant même jusqu’aux attouchements et à la violence sexuelle, voilà autant de constats qui se dégagent de la réalité du monde politique municipal.
«Et on constate que les conséquences sont souvent plus graves chez les femmes, car la portée des gestes est minimisée. Les femmes ne se sentent pas écoutées lorsqu’elles en parlent. On leur dit qu’il faut qu’elles aient la couenne dure pour faire de la politique, que c’est à elles de se faire une carapace. On normalise et on minimise les gestes qui sont posés», constate Mireille Lalancette.
Les conséquences à long terme peuvent évidemment avoir des impacts directement sur la personne; certains sujets de l’étude ont même confié avoir eu un diagnostic de choc post-traumatique. «Ils vont finir par avoir ma peau», a-t-elle souvent entendu de la bouche de ses interlocuteurs, et surtout de ses interlocutrices.
Mais de façon plus globale, la chercheuse dit également s’inquiéter sur l’impact de ces gestes sur la santé démocratique de la société. «Qui aura envie d’aller se présenter si c’est pour travailler dans un tel climat? On s’en inquiète, parce que personne n’a envie de vivre ça. Il faut s’en préoccuper pour la démocratie», croit celle qui fait également écho au débat sur le salaire des élus, en recommandant d’augmenter les salaires versés aux maires et aux conseillers municipaux.
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Pour en venir à bout, la chercheuse a émis diverses recommandations au ministère des Affaires municipales, dont celle de revoir le statut juridique de l’élu municipal qui, à l’heure actuelle, ne bénéficie pas d’une protection en tant qu’employé, ne peut pas avoir accès à de l’aide, des ressources juridiques ou du soutien sinon que par ses propres moyens financiers. «Si on ne revoit pas le statut, il faudrait au moins créer un organisme qui pourrait venir les soutenir, mettre des ressources à leur disposition», suggère Mireille Lalancette, qui prône une politique «zéro harcèlement» pour les élus.
La chercheuse fait également écho à la proposition de Pascale Albernhe-Lahaie dans ses recommandations, soit de rendre les réunions de tous les comités de travail encore plus transparentes, notamment en levant les huis clos systématiques. «À l’intérieur de la recherche, on a pu le constater: lorsque les activités sont filmées, il y a beaucoup moins d’agressions», évoque celle qui recommande aussi de mieux former les élus sur leur rôle et ce qui relève de leur palier de gouvernance, en plus de sensibiliser davantage la population sur l’importance du rôle de l’élu dans la société.
Que ce soit dans les organisations publiques ou en entreprise, la question du civisme est de plus en plus au coeur des préoccupations, au point où les entreprises se ruent vers les firmes de ressources humaines pour trouver des réponses. Depuis le mois de janvier, la firme Coefficient RH de Trois-Rivières croule sous les demandes pour offrir des formations sur le civisme, qui semble s’être parfois perdu dans les milieux de travail.
Oubliez cependant le stéréotype du «gars de shop» mal engueulé ou du vieux patron aux mains baladeuses. Le manque de civisme est répandu dans toutes les sphères professionnelles, allant des écoles aux bureaux professionnels en passant par les services et le secteur manufacturier. Et il n’a ni genre, ni âge, prévient la présidente de Coefficient RH, Marili Bordeleau Desrochers.
«Souvent, on constate du manque de respect, des sarcasmes prononcés devant tout le monde, de l’individualisme», relate-t-elle. Parmi les comportements dérangeants, on trouve une panoplie de comportements qui peuvent paraître anodins. Écouter sa musique sans prendre en considération les autres, répondre à ses courriels en soirée ou la fin de semaine en faisant fi du droit à la déconnexion, ne pas se préoccuper de sa tenue vestimentaire, ignorer volontairement les communications d’un collègue en particulier, lire ses courriels en pleine réunion plutôt que de porter attention aux gens présents, passer de petits commentaires sur certains collègues ou certains départements juste pour rire...
«Dans nos formations, les gens font le saut quand on fait le lien direct entre le manque de civisme et le harcèlement, ils croient que ça ne peut pas être relié. Mais la définition du harcèlement, c’est lorsque ça a un impact important sur l’autre personne, sur son bien-être physique ou psychologique», explique-t-elle.
Ainsi, de nos jours, tout est dans l’interprétation de l’intention de l’autre. Et si ce que vous dites vous paraît anodin, il se peut que la personne en face de vous le reçoive complètement d’une autre façon.
«Ce n’est pas qu’on ne peut plus rien dire. C’est plutôt: qu’est-ce qu’on peut dire? C’est ça que les gestionnaires nous demandent bien souvent», explique Mme Desrochers.
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Quoi qu’il en soit, pour Mireille Lalancette, aucune parole, aucun différend politique, aucun débat, aucune insatisfaction ne justifiera jamais l’usage de la violence, qu’elle soit physique ou verbale. Le dépôt de son rapport au ministère des Affaires municipales, elle l’espère, pourra permettre de trouver de véritables remèdes aux maux qui affligent la démocratie municipale actuelle.
«La violence n’a pas sa place. Nulle part. Peu importe ce qui a été dit ou fait. Ça n’a jamais sa place», martèle la chercheuse.