Tous les 15 août, l’Acadie célèbre fièrement sa fête nationale. Il y a des célébrations, des concerts et des tintamarres.
«C’est une semaine qui a commencé sur la bonne humeur et l’esprit festif, mais là tout d’un coup, juste mercredi, c’est là que ça s’estompe et qu’on revient à la réalité», lâche Liane Roy.
«La réalité» à laquelle la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada fait référence, c’est celle où il faut une volonté politique pour freiner, arrêter et renverser la diminution du poids démographique des francophones au pays.
Parce qu’en ce mercredi de la mi-août, la francophonie canadienne a eu droit à un nouveau rappel qu’elle ne prend pas plus de place dans l’océan anglophone de l’Amérique du Nord qu’il y a quatre ans.
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Le recensement 2021 de Statistique Canada confirme que si de plus en plus de Canadiens ont le français comme première langue officielle parlée, leur proportion, elle, a diminué de 2016 (22,2%) à 2021 (21,4%).
La ministre des Langues officielles du Canada, Ginette Petitpas Taylor, s’est dite préoccupée par ces chiffres et que, plus que jamais, le français est menacé au pays.
Le ministre de la Langue française du Québec, Simon Jolin-Barrette, a abondé dans le même sens en parlant d’un «recul inquiétant de la langue française au Québec».
Ce dernier a profité de l’occasion pour vanter la Loi 96 sur la langue française.
La ministre Petitpas Taylor l’a imité en parlant de l’importance du projet de loi C-13 visant à modifier la Loi sur les langues officielles.
Si ce projet de loi devait être adopté à Ottawa, le fédéral s’engage à protéger et promouvoir le français partout au Canada, encourager l’apprentissage de l’anglais et du français, renforcer la conformité des institutions fédérales et du commissaire aux langues officielles.
Le cas de l’immigration
Dans les organismes francophones, les promesses du projet de loi sont bien accueillies. Mais, le scepticisme à l’égard du gouvernement persiste.
C’est que le déclin du français aurait pu être évité. Liane Roy et la FCFA relevaient cette semaine qu’il y a 2,79 millions de Canadiens qui parlent le français à l’extérieur du Québec. Si les cibles en immigration francophone avaient été atteintes depuis 2008, il y en aurait 2,86 millions aujourd’hui.
Le directeur l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone à l’Université Laval, Richard Marcoux, évoque un l’immigration francophone comme étant «la clé de ce qui s’en vient».
Dans les derniers mois, Le Droit a recueilli les témoignages de plusieurs candidats à l’immigration francophone des provinces qui confiaient être carrément «bloqués» à l’étape fédérale.
Des enseignants et entrepreneurs francophones d’Europe et du Maghreb, notamment, qui se disaient prêts à contribuer à la société canadienne dans l’immédiat et qui attendaient dans l’incertitude qu’on leur fasse signe.
«Il y a eu des dérapages, c’est incroyable. Il y a un important ménage à faire de façon à rendre plus fluide la mobilité francophone», soutient le professeur Marcoux.
Le commissaire aux langues notait en novembre 2021 que l’objectif du gouvernement fédéral de maintenir à 4,4% le poids démographique des francophones à l’extérieur du Québec a échoué à ce jour.
Statistique Canada confirme que la proportion de francophones hors Québec est passée de 3,6 % en 2016 à 3,3 % en 2021.
Moins de francophones, plus de plaintes
Leur poids est peut-être réduit au pays, mais leur voix, elle, continue de se faire entendre.
Dans les dernières années, le nombre de plaintes envoyées au Commissariat aux langues officielles du Canada (CLO) a explosé.
Cette explosion s’explique notamment par la motivation exprimé par des francophones qui en avaient assez que leurs droits linguistiques soient brimés. Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont animés.
Le Droit s’est entretenu avec bon nombre de plaignants «récidivistes» qui se plaignent pour inciter le gouvernement à respecter la loi et pour défendre leurs droits.
Si on comptait quelques centaines de plaintes tous les ans il y a dix ans, le commissaire Raymond Théberge a dit en avoir reçu plus de 5400 plaintes en 2021-2022.
Ce tsunami s’explique surtout par la controverse entourant le PDG unilingue anglophone d’Air Canada, Michael Rousseau, et la nomination d’une gouverneure générale qui ne parle pas le français.
Mais, le recrutement dans la fonction publique fait lui aussi l’objet d’une forte croissance de plaintes.
Régulièrement, des ministères et agences fédérales vont afficher des postes dont les exigences linguistiques sont inférieures à ce qu’elles devraient être.
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Le commissaire parle depuis deux ans d’un «problème systémique», mais la tendance se maintient.
Cette année encore, sur les 1187 plaintes recevables relevées en date du 1er août, 374 d’entre elles portaient sur la dotation en personnel.
Le Commissariat aux langues officielles reçoit tellement de plaintes qu’il n’est plus en mesure de les traiter adéquatement. Des délais immenses sont encourus depuis des années.
Des enquêteurs principaux du commissariat ont même tiré la sonnette d’alarme à l’automne pour aviser leurs patrons qu’ils ne pouvaient plus soutenir le rythme.
On parle d’une situation de «crise» encore aujourd’hui, selon le syndicat qui les représente.
«La loi actuelle a des failles parce que c’est dans la mise en oeuvre qu’il y a des problèmes. Le commissaire peut juste faire ses rapports sur des plaintes. Il ne peut pas forcer les ministères à faire des choses qu’ils ne font pas», affirme Liane Roy.
Le commissariat tente de renverser la vapeur en adoptant une nouvelle solution informatique à l’automne pour simplifier les processus à l’interne, mieux gérer le volume des plaintes, être plus efficace et faciliter le travail des enquêteurs.
Les demandes du commissaire Raymond Théberge pour obtenir plus de pouvoirs dans la prochaine loi sur les langues officielles ont été retenues par Ottawa.
Mais le fédéral, soutiennent les partis d’opposition, aurait pu donner plus de moyens au commissaire pour embaucher davantage d’enquêteurs et s’assurer que chaque plainte soit correctement traitée.
Après tout, le budget du commissariat est relativement stable depuis des années. De 2015 à 2025, le budget du CLO devrait passer de 20,4 millions de dollars à 22,3 millions.
En immigration comme dans le respect de la Loi sur les langues officielles, les intentions et les promesses du fédéral ne suffisent plus aux yeux des communautés francophones. L’action demandée depuis des années se fait attendre et c’est la place du français au pays qui en paye le prix.