Les infrastructures vertes de Gatineau sous la loupe de Jérôme Dupras

La Ville de Gatineau souhaite mieux utiliser les services écosystémiques rendus par ses arbres, ses cours d’eau et ses milieux humides pour améliorer la performance de ses infrastructures.

La Ville de Gatineau souhaite mieux utiliser les services écosystémiques rendus par ses arbres, ses cours d’eau et ses milieux humides pour améliorer la performance de ses infrastructures, souvent en béton, en matière de gestion des eaux de pluie, d’amélioration de la qualité de l’air et de réduction des îlots de chaleur sur son territoire.


L’idée a de quoi séduire en ces temps de changements climatiques et de pression publique de plus en plus forte pour un développement plus respectueux de l’environnement. Force est de constater, cependant, que la quatrième ville en importance au Québec est loin d’avoir une connaissance assez fine de son territoire pour se lancer corps et âme dans une telle innovation. Les fonctionnaires admettent manquer d’information quant à la biodiversité et la caractérisation de ses boisés. Les travaux sur le plan de gestion des milieux humides et hydriques sont en retard d’un an.

Une récente association entre la Ville de Gatineau et la Fondation David Suzuki, ainsi que le chercheur bien connu de l’Institut des sciences de la forêt tempérée (ISFORT), Jérôme Dupras, permettra de remédier à une partie du problème. Des travaux de recherche menés par la firme Habitat, présidée par M. Dupras, permettront de produire un outil numérique, en libre accès, entièrement dédié à la connaissance des infrastructures naturelles. Les villes de Vancouver, Ottawa, Montréal et Québec participent aussi l’étude. Tous les travaux sont financés par la Fondation David Suzuki.

Gatineau estime que cette entente de coopération lui permettra, à terme, de pouvoir évaluer la présence, l’état, ainsi que la performance des infrastructures naturelles sur son territoire. Cela l’aidera à la prise de décision en matière d’aménagement et de gestion des infrastructures.

Le chercheur bien connu de l’Institut des sciences de la forêt tempérée, Jérôme Dupras.

«L’idée au bout de tout ça est de bâtir à partir des actifs naturels qui sont déjà en place, explique M. Dupras en entrevue avec Le Droit. Essayons d’abord de consolider ce qui est déjà là en tentant de toujours vouloir protéger les actifs écologiques. Il faut se mettre dans une logique de restauration du milieu naturel, dans une optique de performance des services rendus aux citoyens par les infrastructures naturelles. Au lieu de construire un bassin de rétention en béton, on pourrait parfois restaurer un milieu humide dont la performance sera égale, voire meilleure.»

Évidemment, le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique n’a pas en main tous les indicateurs nécessaires pour évaluer la performance des infrastructures naturelles de Gatineau, mais petit à petit, l’outil numérique qu’il mettra au point au cours des prochains mois se peaufinera. Un jour, Gatineau pourrait d’un seul clic connaître la capacité de capture et de contrôle des eaux de ruissellement d’un marais dans un secteur donné. Elle pourra ainsi mieux comprendre son territoire et ajuster ses décisions en matière d’infrastructures municipales et de développement du territoire.

Le petit ruisseau entre le boulevard du Plateau et la rue des Frênes.

Justice environnementale

Jérôme Dupras mentionne qu’une autre dimension du projet lui tient particulièrement à coeur. «C’est toute la question de la justice environnementale, dit-il. On va utiliser les données socio-économiques et sociodémographiques et on va faire la relation entre la disponibilité, la qualité et la quantité d’infrastructures naturelles et les facteurs de vulnérabilités sociales. Une première étude publiée par ma Chaire de recherche a démontré très clairement que non seulement la quantité, mais la qualité de la forêt urbaine et la diversité des espèces sont beaucoup plus pauvres dans les quartiers vulnérables.» À titre d’exemple, les données sur la canopée montrent que Vieux-Hull, qui compte plusieurs poches de pauvreté, est l’un des pires centres-ville en matière d’îlots de chaleur au Québec.

Outil dynamique et accessible

M. Dupras explique vouloir mettre au point un outil dynamique et facile d’utilisation, tant pour les organisations publiques comme la Ville que pour les organismes et les associations citoyennes concernés par le développement du territoire. «On souhaite pouvoir le raffiner au cours des années afin qu’il devienne très interactif, dit-il. Il sera perméable aux améliorations et à l’ajout de données. Il sera toujours possible d’ajouter de nouvelles données sur l’occurrence d’espèces et la typologie des milieux.»

Les premiers travaux doivent s’étendre sur une durée de deux ans. Ils consisteront à colliger les données géométriques et cartographiques déjà disponibles au sein des villes, du gouvernement du Québec et d’organisations reconnues comme Canard Illimité. «On pourra voir les zones d’intérêt qui sont fragmentées et celles qui représentent des corridors intéressants pour la biodiversité et les services écosystémiques, précise M. Dupras. Ensuite, on pourra générer des données métriques par rapport à la santé et la performance des infrastructures naturelles.»