Kevin Waugh n’a pas la langue dans sa poche. Le député conservateur de la Saskatchewan a passé des années à couvrir dans les médias les activités du hockey junior canadien, particulièrement dans l’Ouest.
En arrivant dans la grande salle où se tenait la réunion du comité permanent du patrimoine canadien cette semaine, M. Waugh a chaleureusement salué les bonzes du hockey junior canadien. Il les connait à peu près tous. Le ton était léger et courtois.
Puis la réunion a commencé.
«Hockey Canada a un problème», a-t-il lâché sans indulgence. Les dirigeants de Hockey Canada, dit-il, dirigent la fédération avec une main de fer sans se soucier de son conseil d’administration et du public canadien.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/72T3D3LXSFA2DIEP2EK7CS63N4.jpg)
Depuis 33 ans, après tout, la fédération a versé plus de 7,6 millions de dollars à de présumées victimes d’abus sexuels dans la plus grande discrétion.
Puis, les ligues de hockey junior du pays font leurs affaires sans garder Hockey Canada informé. Le commissaire de la Ligue de Hockey junior majeur du Québec, Gilles Courteau, a dit avoir traité deux plaintes de nature sexuelle dans les cinq dernières années qui n’ont pas été partagées à Hockey Canada.
Le constat est le même dans la Ligue de l’Ouest. Deux plaintes. La fédération n’a jamais été mise au courant.
Il n’y a pas de banque de données centrales. Le commissaire de la Ligue de l’Ontario David Branch a déclaré que les différentes ligues «partagent de l’information». Tous les députés ont levé un sourcil.
«De ligue en ligue, les gens déménagent. Les Oil Kings d’Edmonton peuvent embaucher un entraineur de la Ligue de l’Ontario, du Québec», a lancé le député Waugh.
En décrivant un phénomène où les déplacements de joueurs et de personnels sont courants et qu’il ne semble pas y avoir de données sur les dossiers d’agressions sexuelles, Kevin Waugh venait de mettre le doigt sur ce qui se dégage de plus en plus au pays: il semble y avoir un système pour protéger les agresseurs dans le monde du hockey.
Le pape et le hockey
Les cas d’agressions sexuelles impliquant des membres du clergé sont lourdement documentés au Canada et partout dans le monde. L’Église a protégé des prêtres pédophiles pendant des décennies. Et l’affaire est encore plus grave lorsqu’il est question des peuples autochtones.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/L4BPRE5EQVHJ5AJBX2JJ3F2SCE.jpg)
Des enfants ont été enlevés de leur famille. L’Église a voulu les assimiler. Ces enfants ont été agressés sexuellement. Des sépultures anonymes sont encore retrouvées près de certains pensionnats.
Dans le monde du hockey, certains jeunes quittent le nid familial à 14, 15, 16 ou 17 ans pour aller jouer au hockey. Ils vivent dans des familles d’accueil ou en appartement à des centaines de kilomètres de chez eux. Ils sont parfois des vedettes en devenir.
Les ligues disent les accompagner et les encadrer. Or, la députée conservatrice de la région de London Karen Vecchio a raconté cette semaine que des familles d’accueil de jeunes joueurs lui avaient confié ne jamais avoir eu de suivi de l’équipe. Aucune question sur les couvre-feux.
«Nous savons que les jeunes ont besoin de gagner en maturité et qu’à 17 ou 18 ans il va y avoir de très mauvaises décisions», a-t-elle dit.
Des mauvaises décisions comme de présumés viols collectifs en 2003 et en 2018 qui auraient été commis par des joueurs de l’Équipe nationale junior. Et toutes ces affaires qui ne sont pas connues et qui auraient pu survenir en région par des joueurs en visite. Que les équipes auraient pu camoufler.
Cette semaine, le pape François a officiellement demandé pardon aux survivants des pensionnats pour Autochtones du Canada et à leurs familles pour le rôle qu’a joué l’Église catholique dans ces établissements.
«Je demande humblement pardon pour le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones», a déclaré le pape François.
Le président et directeur de l’exploitation de Hockey Canada, Scott Smith, a lui aussi présenté ses excuses en disant qu’il aurait pu faire mieux dans la foulée des événements allégués de viol collectif survenus en 2018 en marge d’un gala de son organisation à London.
Dans les deux cas toutefois, ils étaient nombreux à rester sur leur faim.
Murray Sinclair, qui a été président de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, a mentionné que le pape a laissé un «vide important» en refusant de reconnaitre le rôle de l’Église elle-même dans le système des pensionnats.
À Ottawa, la ministre des Sports Pascale St-Onge a dit de Scott Smith qu’«il n’a pas été capable de reconnaitre qu’il y a un problème de culture systémique à Hockey Canada».
Une autorégulation qui «ne fonctionne pas»
Dans la salle de comité au Parlement, Rob Koehler écoutait attentivement le témoignage des dirigeants de Hockey Canada. M. Koehler est le directeur général de Global Athlete, une organisation internationale qui défend les athlètes et qui promeut l’équité dans le sport.
En entrevue au Droit, M. Koehler affirme qu’il y a des similarités entre les scandales de l’Église catholique et ce qu’on voit à Hockey Canada.
«C’est là que l’autorégulation ne fonctionne pas. Si tu regardes à Hockey Canada et dans les autres fédérations sportives, les gens sont recyclés», dit-il.
Recyclés? C’est un phénomène similaire à celui exposé par le député Waugh pour les joueurs et les entraineurs. M. Koehler explique que des dirigeants des fédérations ou des ligues sportives sont déplacés de sport en sport, de poste en poste et qu’il y a «des apparences de conflits d’intérêts partout».
«Il y a une apparence que ceux qui dirigent dans le monde du sport ont comme intérêt principal de se protéger et de se protéger entre eux. Quand un environnement comme celui-là s’installe, ça donne des opérations sans surveillance», explique M. Koehler.
Scott Smith a martelé qu’il était la bonne personne pour apporter les changements nécessaires à la culture de l’organisation pour laquelle il travaille depuis 1995.
La transformation de l’Église catholique allait elle aussi se faire «de l’intérieur».
À Ottawa, l’analogie n’est pas traitée ouvertement, mais n’étonne personne non plus. Au bout du fil, le député bloquiste Sébastien Lemire réfléchit à voix haute.
«Il y a des parallèles intéressants dans la culture du silence. La culture de l’abus. Quand des structures protègent des comportements disgracieux, protègent les gens des tribunaux et empêchent les victimes de parler, forcément ça fait en sorte que ces actes répréhensibles se répètent année après année», soutient-il.
Il poursuit sa réflexion. Parce que l’affaire Hockey Canada n’est pas terminée. Plusieurs membres du comité du patrimoine canadien ont exprimé leur volonté de continuer leur étude de la gestion des dossiers d’abus sexuels par la fédération de hockey sur glace à l’automne.
Quand les projecteurs seront bien allumés et que les Canadiens pourront porter une attention renouvelée à ce qui se passe au sein de la plus puissante des fédérations sportives au Canada.
Une nouvelle d’importance dans le monde du hockey provoque généralement ce qu’on appelle une «éclipse médiatique». Or, pas cette fois-ci.
L’affaire Hockey Canada a été éclipsée par un autre événement cette semaine: la visite du pape au Canada. Une visite d’excuses officielles. De repentance. Et cela aura eu raison de notre sport national.