La grande militante franco-ontarienne Gisèle Lalonde meurt à 89 ans

Véritable figure de proue de la lutte ayant permis de sauver l'Hôpital Montfort, l'ancienne mairesse de Vanier, Gisèle Lalonde, s'est éteinte dans la nuit de mardi à mercredi, à l'âge de 89 ans.

Véritable figure de proue de la lutte ayant permis de sauver l'Hôpital Montfort, l'ancienne mairesse de Vanier, Gisèle Lalonde, s'est éteinte dans la nuit de mardi à mercredi, à l'âge de 89 ans.


«Montfort, fermé, jamais!» Ces mots seront à tout jamais associés à Gisèle Lalonde. Prononcés lors du grand rassemblement du mouvement SOS Montfort, le 22 mars 1997 au Centre municipal d'Ottawa, ils auront fait lever la foule de quelque 10 000 personnes réunies pour réclamer la survie du seul hôpital francophone de l'Ontario, alors menacé de fermeture par le gouvernement de Mike Harris. La victoire aura été célébrée cinq ans plus tard. «J'ai commencé la lutte à 63 ans, rappelle-t-elle lors d'une entrevue, en 2002. […] Avec tout ça, j'ai vieilli de dix ans!»

Le décès de Mme Lalonde a été confirmé par la famille tôt, mercredi matin.

(Le Droit)

«Malgré tout son engagement, maman a toujours cherché à réconcilier ses obligations avec sa vie familiale, a confié au Droit son fils Guy. Durant l’été, il y avait toujours un voyage en famille de prévu. Elle a travaillé fort et elle a autant dédié à sa famille qu’à la communauté.»

«Elle nous motivait toujours à nous dépasser, dit celui qui a couru les élections municipales et qui a été un conseiller scolaire, comme sa mère. Elle nous a inculqué l’intégrité. Si on s’engage, on s’engage pleinement, il n’y a pas de demi-mesure. Il ne faut jamais lâcher et aller jusqu’au bout, ajoute-t-il. On l’a vu avec SOS Montfort. Au début de ce mouvement, elle avait le trac, mais elle continuait! Tout ce qu’on fait, on le fait avec passion. C’était l’âme de la famille.» 

«Je ne me souviens pas d’avoir le droit de parler anglais avant le secondaire. Elle nous disait qu’on n’avait pas besoin de faire d’effort pour apprendre l’anglais, qu’on allait le parler par la force des choses. Chez nous, c’était bien français. Si on disait un anglicisme ou si on ne prononçait pas bien un mot, elle nous reprenait», conclut-il.

Sa mort plonge toute la communauté franco-ontarienne dans le deuil. Grande dame ayant contribué à de multiples causes tout au long de sa vie, elle a reçu au fil des ans de nombreux honneurs.



En janvier 2003, elle a dû improviser sur scène en recevant le titre de Personnalité de l'année La Presse/Radio-Canada dans la catégorie courage, humanisme et accomplissement, puisqu'elle ne croyait pas en ses chances. 

«Je ne croyais jamais qu'une petite Franco-Ontarienne serait honorée à Montréal», avait-elle lancé. Quelques minutes plus tard, elle confiait au Droit qu'elle devait partager ce titre avec l'ensemble de la communauté franco-ontarienne.

«Les Franco-Ontariens se sont tenus debout et ils m'ont donné le courage de continuer et de lutter jusqu'à la fin, avait-elle souligné. C'est sur leurs épaules que j'ai marché pendant cinq ans et, ce soir, je leur dis un gros merci.»

Gisèle Lalonde lors d'une allocution en en février 2002.

Parcours

Née à Eastview (aujourd'hui Vanier) le 28 juin 1933, Gisèle Deschamps a épousé Gilles Lalonde – avec qui elle aura trois fils – en 1954. Elle a été enseignante de 1951 à 1973, avant de devenir conseillère scolaire, puis présidente du Conseil des écoles catholiques séparées d'Ottawa. Elle fut également la première directrice générale du Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques, fondé en 1974.

En 1977, elle a été candidate du Parti conservateur aux élections provinciales, mais n'a pas réussi à gagner un siège à Queen's Park. Son saut en politique active s'est fait huit ans plus tard, lorsqu'elle est devenue, en 1985, mairesse de Vanier. Elle occupera cette fonction jusqu'en 1991.

Première femme à diriger Vanier, Gisèle Lalonde a fondé, pendant son mandat à la mairie, l'Association française des municipalités d'Ontario, regroupement dont elle a assumé la présidence de 1989 à 1991.

Elle a également siégé à de nombreux conseils d’administration, que ce soit dans le domaine communautaire, de la santé ou de l'éducation.

Gisèle Lalonde

Réactions

«Avec le départ de Gisèle Lalonde, la francophonie canadienne vient de perdre son âme et son cœur, a réagit Pierre Bergeron, président et éditeur du Droit de 1993 à 2002. Aujourd’hui, nous sommes tous un peu orphelins de Gisèle Lalonde. Nous pleurons «Gisèle» comme une mère à qui nous avons confié nos aspirations et dont la fougue nous a stimulés.»

«Elle fut une source d’inspiration pour tous ceux qui ont eu le privilège de la côtoyer et de l’appuyer dans ses combats. Elle a toujours été aux premières lignes parce qu’elle croyait profondément que la cause de la défense et de la promotion de la francophonie était juste et enracinée bien profondément dans notre communauté. Notre journal s’est engagé à ses côtés avec la même fougue et le même désir de servir notre cause.»

À cet effet, M. Bergeron avait essuyé plusieurs critiques au coeur de la lutte historique de la communauté franco-ontarienne. Au lieu d'opter pour l'impartialité et l'objectivité dans le dossier de l'Hôpital Montfort, il avait décidé que Le Droit devait monter au front avec les Franco-Ontariens. Il avait donc pris position en faveur du mouvement SOS Montfort.

Aujourd'hui, il espère un monument... pour un monument de la francophonie.

«En ces temps où les sociétés déboulonnent les statues, les francophones de l’Ontario devront en ériger une pour rappeler la contribution exceptionnelle de Gisèle Lalonde à notre mieux-être, à nos espoirs et à notre avenir. Merci, Gisèle Lalonde, de nous avoir fait prendre «notre place», car nous sommes, nous serons!»

Ronald Caza

«La première fois que j’ai rencontré Gisèle Lalonde, j’étais un très jeune avocat et j’étais nouvellement membre du conseil d’administration de l’Hôpital Montfort, a confié au Droit Me Ronald Caza. Il y a eu cette réunion d’urgence des divers intervenants de la communauté franco-ontarienne pour réagir à la recommandation de la Commission de restructuration des soins de santé de fermer l’hôpital. Gisèle Lalonde était l’une des personnes qui avaient été invitées.»

Me Caza est l'avocat qui avait mené la lutte judiciaire de SOS Montfort face au gouvernement ontarien, et ce, aux côtés de Mme Lalonde.

«Ça n’a pas pris cinq minutes qu’elle était en contrôle de toute la réunion. C’était incroyable. Elle disait, “Toi fais-ci, toi fais ça. Ondoit faire ceci, on doit faire cela” Il fallait choisir quelqu’un pour être le chef. C’était évident que c’était la chef de file, la figure de proue (du mouvement de contestation).»

«Elle a travaillé de façon très étroite avec Michel Gratton. Une des grosses raisons de la réussite du dossier Montfort, c’est que le dossier Montfort était un dossier d’importance nationale. C’est Michel Gratton qui figurait de quelle façon de s’assurer de toujours être à la Une des nouvelles et que ce soit Gisèle Lalonde qui était à la Une des nouvelles. Histoire après histoire, il y avait quelque chose. Chaque petit détail devenait une grande nouvelle. Elle, elle était bonne à motiver les gens. Elle était très confiante. Les gens la respectaient. Après qu’on a gagné le dossier Montfort, Mike Harris, la personne contre qui on luttait, a appelé Gisèle Lalonde pour la féliciter. Il était très impressionné.»

Bernard Leduc

Le président et directeur général actuel de l'Hôpital Montfort, le Dr Bernard Leduc, a également louangé les efforts et «le leadership exemplaire»  de la «grande dame» de la francophonie ontarienne et promet de lui rendre hommage «à notre façon.»

«La grande famille de Montfort est en deuil présentement. Il y a beaucoup d’émotions à l’intérieur de l’hôpital. Évidemment, c’est une journée qu’on appréhendait […], mais quand ça se produit, c’est toujours particulier et c’est toujours triste. On est en train de réfléchir comment on va pouvoir bien honorer sa contribution, son legs, et marquer évidemment ce qu’elle a fait et ce qu’elle représente pour l’hôpital. 

«C’est une grande dame qui a été là au moment difficile de l’hôpital, qui a assumé un leadership exemplaire. Elle était là tous les jours. C’était la figure publique du mouvement SOS Montfort. C’était une femme qui était capable par contre d’exprimer ce qu’elle pensait. Elle n’avait pas peur de bien défendre ses opinions. Vraiment une leader importante pour la communauté.» 

La ministre des Langues officielles et responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique, Ginette Petitpas Taylor, a voulu ajouter sa voix à celle de toute la communauté francophone.

«Aujourd’hui, la communauté franco-ontarienne et les francophones du pays sont en deuil. Mme Lalonde était une militante dévouée qui a consacré sa vie à la promotion et à la défense de la francophonie, notamment à travers la lutte pour sauver l’hôpital Montfort, a-t-elle écrit. Elle sera toujours une source d’inspiration pour les Canadiens et Canadiennes et son héritage restera gravé à jamais. Mes sincères condoléances à ses proches et à toute la communauté franco-ontarienne.»



«Montfort lui doit tout, si ce n’est pas d’elle, on ne serait pas où l’on est aujourd’hui. C’est elle qui a forcé tout ça. Elle était la personne au front, elle était prête à tout. On savait qu’elle ne nous laisserait pas tomber», raconte Marie-France Cuerrier, travailleuse à Montfort depuis 1997.

Tréva Cousineau

«Gisèle était mon modèle, c’est une femme que j’ai toujours admirée, témoigne Trèva Cousineau, une autre grande militante franco-ontarienne. Je l’ai rencontrée quand j’étais une jeune conseillère scolaire. Je venais de Timmins et elle présidait la réunion des conseillers scolaires. Elle m’a inspiré dès cette réunion-là. Je suis allé vers elle et je lui ai dit “Je veux devenir comme vous quand je vais vieillir”. Je l'ai souvent suivi [dans ses postes]. J’ai toujours travaillé de près avec elle quand elle a combattu pour Montfort. À l’époque, j’étais présidente de l’ACFO provinciale et on se parlait presque tous les jours. Elle est devenue plus qu’une modèle; une compagne, une amie.»

Mme Cousineau a d’ailleurs milité pour la création des 12 conseils scolaires de langue française en Ontario. Elle prenait souvent conseil de Gisèle Lalonde. «Quand j’avais une question à poser, je l’appelais. Son dynamisme et son franc-parler, on apprend de ça. Elle était mon modèle à plusieurs niveaux. [Je me rappelle de] sa force de caractère. Elle nous disait de foncer.»

Celle qui a œuvré au sein de nombreux conseils scolaires, associations et commissions francophones reconnait le travail de cette grande dame pour la promotion de la langue française en Ontario. «Elle ne peut pas tout faire toute seule. Elle a été championne pour plusieurs causes. Tout ce que Gisèle a fait, elle l’a fait avec passion et cette passion se transfère aux autres. Le français en Ontario, je suis convaincu que ça ne va aller que de mieux en mieux. Je pense que les anglophones nous reconnaissent et depuis Montfort en particulier. La jeunesse est beaucoup plus sensibilisée à la francophonie ontarienne que nous ne l'étions quand nous étions jeunes. Nous allons survivre, je le sais. Nous allons même nous épanouir.»

«Je la connais depuis 50 ans, réalise Guy Matte, militant de la langue française et de l’éducation en milieu francophone. Elle était conseillère scolaire au conseil des écoles catholiques quand j'étais enseignant. Comme j’avais des responsabilités syndicales, on a souvent été du côté opposé de la table. Elle était une adversaire coriace et courageuse envers qui j’avais beaucoup de respect.»

Association communautaire de Vanier

«Si toute la communauté franco-ontarienne est en deuil, Vanier salue ce grand pilier vaniérois. [...] L’Association communautaire de Vanier et son Comité de la francophonie continueront de s’inspirer de la contribution inouïe de cette grande Vaniéroise dans leur engagement bénévole. "Gisèle Lalonde, oubliée, jamais!"», écrit la présidente du Comité de la francophonie de Vanier, Johanne Leroux.

«Dans le temps de SOS Montfort, j’étais planificatrice des services de santé avec le conseil régional de santé pour les cinq comtés, se souvient la conseillère municipale de la municipalité de La Nation, Marie-Noëlle Lanthier. C'était une période très difficile, surtout pour les gens de l’Est ontarien. Gisèle avait une force incroyable pour rassembler les gens. Elle a été une pionnière dans la fondation de ça. Étant donné que je siège au conseil d’administration de l’Association française des municipalités de l’Ontario. 

«C’était un modèle de leadership féminin, ajoute celle qui est aussi membre de Leadership féminin Prescott-Russell, ajoute-t-elle. C’est une preuve que quand les femmes prennent leur place dans l’espace public, elles peuvent réaliser des choses extraordinaires.» 

«En ayant travaillé dans le secteur de la santé, on ne pouvait faire autrement qu’admirer le travail qu’elle faisait. Son courage et le fait qu’elle a mis autant d’efforts pour la protection des services en français sont des choses qui ont eu des impacts sur moi. Elle est un grand modèle», conclut Mme Lanthier qui siège au conseil d’administration de l’Association française des municipalités de l’Ontario, fondée par Mme Lalonde.

Plusieurs honneurs

  • 1987: Médaille du Cinquantenaire du Conseil de la vie française en Amérique
  • 1997: Chevalier de l'Ordre de la Pléiade de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française, section canadienne
  • 1998: Membre de l'Ordre des francophones d'Amérique
  • 1998: Dame chevalier de l'Ordre de Saint-Grégoire le Grand
  • 2000: Prix Boréal de la Fédération des communications francophones et acadienne
  • 2000: Doctorat honorifique de l'Université Saint-Paul
  • 2002: Chevalier de l'Ordre de la Légion d'Honneur
  • 2002: Personnalité de l'année La Presse/Radio-Canada, catégorie courage, humanisme et accomplissement
  • 2002: Médaille Delphis-Brochu de l'Association des médecins de langue française du Canada
  • 2002: Prix Séraphin-Marion de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal
  • 2003: Une école secondaire du secteur Orléans est nommée en son honneur par le Conseil des écoles publiques de l'Est de l'Ontario
  • 2004: Membre de l'Ordre du Canada
  • 2005: Doctorat honorifique de l'Université Laurentienne
  • 2005: Obtention des clés de la Ville d'Ottawa
  • 2006: Membre de l'Ordre de l'Ontario
  • 2008: Diplôme honorifique du Collège Boréal de Sudbury
  • 2016: Doctorat honorifique de l'Université d'Ottawa