«C’est un beau moment pour quitter parce que c’est venu tout boucler», exprime d’emblée l’ancienne commissaire aux langues officielles, nommée présidente du Conseil de planification de l’UOF en septembre 2016.
Outre tous les rebondissements pour la création de l’établissement postsecondaire francophone de Toronto, Mme Adam rappelle que plusieurs réalisations se sont précipitées, notamment au cours de la dernière année et quelques poussières.
«Nous avons veillé à la construction du campus; nous avons accueilli notre première cohorte; nous avons embauché presque la totalité du personnel enseignant et administratif ainsi que notre nouveau recteur en pleine pandémie; nous avons offert nos premiers programmes», énumère la dirigeante originaire de Casselman, dans l’Est ontarien.
«Nous.»
Ce «nous» se répétera continuellement lors de l’entrevue d’une trentaine de minutes.
«Maintenant, l’université s’épanouira, elle ajoutera des programmes, mais c’est comme si les assises sont établies. Je suis satisfaite après six années quand même à y œuvrer. C’est à peu près le plus long mandat que j’ai effectué dans ma carrière, sauf comme commissaire. Ça l’a été une belle expérience», résume-t-elle calmement.
Des obstacles
Or, l’aventure de l’UOF a été loin d’être calme, et ce dès ses débuts.
L’histoire est plutôt rocambolesque.
«C’est sûr que nous nous sommes heurtés à plusieurs obstacles. Le défi de la pandémie demeure une chose inusitée, imprévisible. Toutefois, ce que je trouve a été le plus difficile, c’est la course contre la montre. Nous étions toujours confrontés à des délais très très serrés pour réaliser les différentes étapes de l’établissement de l’université. C’est vraiment ça qui a été le plus exigeant pour nous.»
Encore, ce «nous.»
Pour la petite histoire, explique Mme Adam, la mise sur pied de l’UOF s’est produite en quelque 18 mois. Du moins, si on ne tient compte que de la période pour obtenir l’approbation finale du gouvernement libéral de l’époque, celui de Kathleen Wynne. Qui plus est, son équipe du conseil de planification n’a eu que le tiers de ce temps pour monter le dossier.
«Nous avions à peine six mois pour réaliser toute l’étude nécessaire pour planifier l’UOF; ses programmes; de faire des consultations et déposer un rapport bilingue au gouvernement visant la création de l’université, etc.»
Le gouvernement de l’Ontario reçoit ce rapport et accepte leurs recommandations en décembre 2017. Le 8 avril 2018, la province proclame la Loi de 2017 sur la création de l’UOF et nomme les membres du premier Conseil de gouvernance de l’Université, présidé encore une fois par Mme Adam.
«C’est comme plutôt rare qu’un gouvernement agisse si rapidement. Mais nous y tenions vraiment. Car si le tout avait traîné, ce n’est pas garanti que cette université aurait eu lieu. Il fallait que ça passe. Ça fait presque 50 ans que les Franco-Ontariens désiraient une université de langue française autonome. Nous ne pouvions pas rater ce rendez-vous avec l’histoire.»
— Et pourquoi si rapide?
«Le gouvernement avait à peine une fenêtre de quatre à cinq mois pour passer la Loi. Et parce qu’une université, ce n’est pas juste d’être créé. Il faut un processus législatif. Il faut que la Loi soit écrite pour qu’elle soit adoptée en chambre. Ils l’ont adoptée […] et ils partaient en élections six semaines après. Cela est excessivement serré quand on considère toutes les étapes.»
«Ce n’est vraiment pas dans l’idéal, on s’entend. Mais comme il s’agit de décisions politiques...»
En veilleuse
En parlant de décisions politiques…
L’élection du gouvernement Ford en juin 2018 apporte d’autres défis. Son parti prône l’assainissement des finances publiques et non les nouvelles dépenses.
Dans son premier énoncé économique prononcé le 15 novembre — le jeudi noir — Doug Ford annonce la fin du projet de création de l’UOF ainsi que l’abolition du Commissariat aux services en français.
«Encore une fois, nous avons essayé de faire valoir notre projet, mais le financement est mis en veilleuse. L’équipe en place est menacée de disparaître», se souvient Mme Adam.
Mais la conviction du Conseil de gouvernance de l’UOF reste inébranlable. Ses membres avaient aussi une carte cachée en quelque sorte.
«Ce qui nous a rassurés quand nous avons appris que nous n’aurions pas l’argent pour démarrer l’université est que la Loi n’avait pas été abolie. Nous étions vraiment en veilleuse. Donc pour le Conseil de gouvernance, nous existions toujours et nous détenions le pouvoir de veiller à la pérennité de l’institution. Bien que cette Loi nous gardait vivants, maintenant c’était notre responsabilité de trouver du financement. C’est devenu l’objectif premier du Conseil de gouvernance», indique Mme Adam.
C’est à ce moment que l’UOF cogne à la porte du gouvernement Trudeau qui répond à l’appel en janvier 2019. Il injecte 1,9 million pour que l’aventure se poursuive.
Revirement
En coulisses, le tollé communautaire causé par le jeudi noir ne passe pas inaperçu à Queen’s Park.
«Nous sentions que le bureau du premier ministre (Doug Ford) ainsi que (la ministre des Affaires francophones) Mme (Caroline) Mulroney étaient à l’écoute, qu’il y avait une ouverture. Ils voulaient voir et comprendre comment on pourrait démarrer cette université dans une période où le gouvernement avait comme priorité l’assainissement des finances publiques. Et c’est comme ça que les deux gouvernements en sont arrivés à un financement paritaire.»
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Le 7 septembre 2020, quatre jours avant le déclenchement des élections fédérales, et après plusieurs démarches — et d’autres courts délais — une entente de principe est signée avec les gouvernements Trudeau et Ford.
Cette entente de collaboration permettra de financer l’université à hauteur de 126 millions de dollars au cours des huit prochaines années, notamment pour confirmer son ouverture à l’automne 2021.
Plus question de se faire soutirer le tapis sous les pieds, assure Mme Adam.
«L’engagement de la province est ferme, c’est signé. Il y a une entente.»
«Le gouvernement fédéral a joué un rôle clé à un moment déterminant. Ils nous ont donné un peu le souffle dont nous avions besoin», enchaîne-t-elle.
Eh oui, encore ce «nous.»
Et maintenant?
Après une longue entrevue, où le «nous» a été prédominant, Mme Adam est passée finalement au «je» en fin d’entretien. C’est un peu normal, le journaliste du Droit lui a demandé si la retraite avait enfin sonné.
«Vous savez, je me trouvais déjà à la retraite quand ils sont venus me chercher. Pour moi, c’est un retour: de profiter d’un bel été; de faire des choses que j’aime. C’est bon de prendre une distance. Et je me promets toujours d’écrire, mais je me fais toujours happer dans des projets.»
Qui sait ce que Mme Adam «nous» réserve vraiment.