Des histoires graves, troublantes, qui s’échelonnent sur plusieurs années. Et qui posent, encore une fois, un tas de questions aussi essentielles que complexes. «Comment défendre les victimes alors que ceux qui agressent détiennent le pouvoir et sont en quelque sorte protégés par leur statut social privilégié?», a résumé l’auteure et chercheure Léa Clermont-Dion sur sa page Facebook.
C’est la question qu’on s’est posée à la suite des allégations touchant Gilbert Rozon, Éric Salvail, Jian Ghomeshi et tant d’autres vedettes du showbizz. Et malgré les réformes subséquentes du système de justice, confronter un agresseur qui a du pouvoir, de l’argent, de la notoriété, demeure une épreuve pour les plaignantes.
Sous le choc, démolies par ce qui vient de leur arriver, elles réalisent très vite qu’elles devront soit se taire, soit se résoudre à un combat pénible devant les tribunaux. Où elles devront revivre, encore et encore, des événements traumatisants, et voir leur crédibilité constamment remise en doute par la défense. Tout en sachant qu’au bout du compte, bien souvent, ce sera leur parole contre celle de leur agresseur.
Dans le cas de Philippe Bond, les victimes présumées ont préféré raconter leur histoire à la presse écrite plutôt que de passer par le processus judiciaire. Personnellement, sans rien avoir à redire sur le travail des journalistes de La Presse, je ressens un malaise quand le procès d’une personne se déroule sur la scène médiatique plutôt que devant une cour de justice. Les dérapages sont inévitables. Et à la fin, impossible de dire si la peine encourue est en lien avec la gravité de la faute.
Mais en soi, le choix des victimes alléguées de dénoncer Bond dans les journaux en dit long sur leur peu de confiance envers les tribunaux. Comment le leur reprocher au vu de certains événements récents? Cet été, un juge a accordé une absolution conditionnelle à un agresseur sexuel de Trois-Rivières après avoir pris en considération la durée de l’acte et la carrière d’ingénieur du monsieur… Et la carrière de la plaignante, elle? Et sa santé mentale? Et sa dignité? Comment faire confiance à un système de justice qui se montre aussi complaisant envers les agresseurs?
Le traitement inadéquat des plaintes a aussi de quoi freiner les ardeurs des plaignantes. Une des victimes alléguées de Philippe Bond est allée porter plainte à la police de Gatineau après un événement survenu dans les toilettes du lounge de l'hôtel du Casino du Lac-Leamy, en 2007. Elle dit ne pas avoir été prise au sérieux par des policiers. Selon elle, ils s’inquiétaient surtout de la carrière de M. Bond: «Quand j’ai vu le genre de questions des policiers, je suis partie. Ça allait être ma parole contre la sienne. Ça ne me tentait pas de me sentir encore plus dégueulasse.»
Du côté de la police de Gatineau (SPVG), on assure que les choses ont changé depuis 15 ans. Après les grandes vagues de dénonciations, le SPVG a revu ses méthodes d’enquête. Il se targue d’avoir été le tout premier corps de police à refaire la vérification de tous ses dossiers d’agression sexuelle, en 2018. Et dans la foulée des révélations concernant Philippe Bond, le chef du SPVG a invité la victime alléguée à se présenter de nouveau au poste, assurant que sa plainte serait prise adéquatement.
Tant mieux si les mentalités évoluent. Mais elles n’évoluent pas au même rythme partout. En témoigne cette pathétique tentative de Hockey Canada de balayer sous le tapis un viol collectif allégué qui aurait pu mettre en péril la carrière de jeunes hockeyeurs à l’avenir prometteur. Ici encore, ce sont des hommes au statut social privilégié qu’on a cherché à protéger, au détriment de leur victime.
Et pour en revenir à Philippe Bond, comment se fait-il que toutes ces histoires le concernant, certaines remontant à plus de 15 ans, ne sortent au grand jour qu’aujourd’hui? Ses employeurs ne pouvaient ignorer totalement que sa conduite avec les femmes posait parfois problème. Pourtant, ils n’ont largué l’humoriste que mercredi, dans la foulée de l’enquête journalistique. Quel mécanisme d’impunité a joué en faveur de Bond durant toutes ces années?