Scandale chez Hockey Canada : «À nous de protéger nos enfants!»

François Lemay, père de deux jeunes garçons qui jouent au hockey à Granby, invite les parents et la communauté à prendre position contre la culture d’impunité dans le milieu sportif.

François Lemay est fâché contre Hockey Canada. En réaction au scandale sexuel que cette organisation emblématique a longtemps gardé caché, le papa de deux jeunes hockeyeurs a convaincu l’Association hockey jeunesse de Granby de geler les cotisations qu’elle verse à Hockey Canada, tant et aussi longtemps que le gouvernement fédéral retiendra son financement. «C’est odieux, c’est révoltant ce qui se passe là-bas. On ne peut pas ne rien faire!»


Il invite la communauté, des associations sportives aux simples citoyens, à se mobiliser contre cette culture d’impunité au hockey, et dans le milieu sportif en général.

«Il faut que Hockey Québec, Hockey Estrie et les autres associations au Québec et au Canada disent “Non, c’est fini! », estime M. Lemay qui interpelle d’ailleurs Hockey Québec dans une lettre d’opinion publiée jeudi matin par La Voix de l’Est.

Impunité systémique

Il souligne qu’un système pernicieux semble être dans l’ADN de Hockey Canada, alors qu’on apprenait lundi 20 juin qu’en plus de l’affaire de viol collectif ayant fait les manchettes, l’organisation traitait un à deux cas d’agression sexuelle par année.

Les valeurs véhiculées par le traitement de ces allégations de viol collectif visant huit anciens joueurs d’Équipe Canada junior sont nuisibles aux jeunes, estime M. Lemay. «Les valeurs transmises, c’est “faites vos conneries, vos abus, on va vous protéger. Vous pouvez les répéter”. Le mot se passe auprès des jeunes.»

Si plusieurs grandes entreprises se sont publiquement dissociées de Hockey Canada, la population doit à son tour mettre son pied à terre, revendique le papa dont les garçons ont 7 et 10 ans.

«On ne peut pas laisser Tim Hortons, Bauer et Canadian Tire faire la job à notre place de parents. C’est à nous de protéger nos enfants.»

Selon lui, si le PDG sortant de Hockey Canada, Tom Renney, et son successeur Scott Smith continuent à recevoir de l’argent, «ils vont continuer leur business as usual».

M. Lemay assure que le gros de l’argent vient de la poche des parents. «Le nerf de la guerre, c’est l’argent, et comme membres d’une communauté, les parents, les associations, doivent arrêter d’avoir peur [...]. Nous n’avons plus d’excuse comme société de rester silencieux.»

Celui qui est par ailleurs conseiller municipal à la Ville de Granby réfute l’idée qu’on ne doit pas embarquer sur le terrain de la politique, alors qu’il est question de hockey. «Comme membre de la communauté, on doit prendre position, le silence est inacceptable, et on doit arrêter de verser des cotisations.»

M. Lemay a convaincu l’Association hockey jeunesse de Granby de geler les cotisations qu’elle verse à Hockey Canada.

« Tasser les dinosaures »

Il existe des organisations sportives qui ont réussi à changer leurs façons de faire à la suite de comportements inacceptables. M. Lemay donne l’exemple de l’équipe de football des Redmen de McGill (aujourd’hui les « Redbirds ») qui, « il y a quelques années, avait des initiations odieuses».

«Ils n’ont pas niaisé avec ça : ils ont cancellé le programme de football pendant un an. Il y a des gens qui prennent les bonnes décisions, mais il faut tasser les dinosaures.»

Il ajoute qu’il existe des milliers d’administrateurs sportifs et scolaires qui font bien leur travail, qui confrontent les gens qui posent des actes répréhensibles.

S’il reconnaît la détermination dont a fait preuve la ministre des Sports fédérale et députée de Brome-Missisquoi, Pascale St-Onge, qui a décidé de geler le financement gouvernemental de Hockey Canada, François Lemay regrette cependant que la ministre n’ait pas demandé publiquement la démission de messieurs Renney et Smith.

La ministre des Sports du Canada, Pascale St-Onge

«On peut tasser ces gens-là demain matin, on repart à neuf et on sera même meilleurs dès le jour 1», assure celui qui est aussi directeur adjoint de l’école l’Orée des Cantons.

Pour cela, il suggère de recruter de «vrais professionnels de l’éducation et du développement des athlètes» auprès des universités canadiennes, dont plusieurs sont réputées pour l’excellence de leurs programmes sportifs. Il cite notamment Julie Chu, entraîneuse-chef du programme de hockey féminin aux Stingers de Concordia depuis 2016.

Julie Chu, entraîneuse-chef du programme de hockey féminin aux Stingers de Concordia depuis 2016, fait partie des personnes de qualité dont on devrait s’inspirer pour remplacer la direction de Hockey Canada, selon M. Lemay.

« Pointe de l’iceberg »

Entraîneur bénévole au hockey, impliqué également dans l’organisation du baseball mineur granbyen, M. Lemay croit que ce scandale n’est possiblement «que la pointe de l’iceberg.»

«Ce qu’on n’ose pas s’avouer, c’est à quel point c’est odieusement énorme comme situation. Si ça se passe à Hockey Canada, après ça vous multipliez ça par toutes les ligues junior, par toutes les équipes qu’il peut y avoir, et j’en passe.»

Également responsable des activités sportives et de plein air à la Ville de Granby, il rappelle qu’il existe un organisme à but non lucratif — Sport’Aide — qui peut accompagner les organisations sportives vers une gestion transparente, et prévenir ce genre de situation en mettant en place une culture plus saine. Une culture de respect, notamment envers les femmes, «ça se développe comme culture», dit-il.

D’ici là, «Hockey Canada est l’illustration sportive des écuries d’Augias. Faut faire le ménage», image M. Lemay, faisant allusion à cette légende de la mythologie grecque, dans laquelle Héraclès fait dériver les eaux de deux fleuves pour nettoyer des étables dont la saleté empêchait d’y accéder.

La semaine dernière, Pascale St-Onge a expliqué que Hockey Canada ne verra son financement rétabli qu’une fois qu’elle aura rempli deux conditions.

La première est de transmettre à Sport Canada le rapport du cabinet d’avocats embauché pour enquêter sur l’incident allégué et un plan qui détaille comment seront mises en œuvre les recommandations au sein de l’organisation.

La seconde est d’adhérer au Bureau du commissaire à l’intégrité dans le sport et de travailler en étroite collaboration pour changer la culture du silence et [...] lutter contre les violences sexuelles au sein de l’organisation.

La fédération sportive a reçu 14 millions de dollars du gouvernement fédéral en 2020 et 2021.

Chez Hockey Québec, on ne souhaite pas se prononcer. «Nous suivons de très près la situation à Hockey Canada, mais ne désirons pas la commenter pour le moment», nous a écrit son directeur Jocelyn Thibault, en réponse à notre demande d’entrevue.