Sous un soleil de plomb, plusieurs s'armaient de patience sans broncher, en silence, tandis que d'autres dénonçaient la situation haut et fort entre eux, n'ayant de plus aucune garantie qu'ils allaient pouvoir pénétrer dans l'édifice de la rue Champlain avant 15h, moment où un gardien de sécurité a la tâche ingrate d'annoncer aux gens qu'ils doivent rebrousser chemin.
À l'arrivée du Droit, plusieurs n'ont pas hésité à déverser leur fiel devant le «ridicule» et l'ampleur qu'a pris le processus d'attente pour la délivrance d'un passeport.
C'est le cas d'un homme retraité de Montréal qui a fait la route jusqu'à Gatineau tôt en matinée pour rendre service à son fils, qui habite en Abitibi et est sans nouvelles de sa demande de renouvellement de passeport alors qu'elle a été faite le 12 avril par la poste et qu'il a un voyage en famille pour l'Europe réservé en juillet.
«Je viens juste pour avoir des nouvelles sur l'état du traitement de son passeport. Il n'est même pas capable de parler à quelqu'un de Service Canada pour avoir une simple information sur son dossier. Il a investi beaucoup d'argent, alors il se demande s'il part ou non, il ne sait pas. S'il ne l'a pas avant de partir, il va s'organiser avec un plan B, mais il veut le savoir. [...] Ça n'a pas de maudit bon sens. Une république de bananes, ce sont les premiers mots qui me viennent à l'esprit et j'y tiens, je vais les dire. C'est épouvantable que ce soit si mal géré et qu'on n'ait pas été capable de prévoir à l'avance que les gens voyageraient avec la fin de la pandémie», s'est-il exclamé.
Un autre aspect est loin de lui faire mâcher ses mots face à cette situation inusitée qui frappe plusieurs régions du pays.
«Ce que je remarque de pire encore là-dedans, c'est l'aphasie politique. Il n'y a personne, où sont les politiciens à Ottawa? On aurait dû faire ça avant, l'embauche de personnel», laisse-t-il tomber.
De son côté, Daniel Gervais est arrivé sur place 15 minutes avant l'ouverture et n'était encore pas certain à 11h30 s'il allait repartir à la maison bredouille ou s'il allait pouvoir, lui aussi, obtenir le nouveau passeport de son fils avec qui il compte partir en vacances en Virginie le mois prochain. Après plus de trois heures d'attente, il n'avait pas encore tout à fait franchi la moitié de la file d'attente.
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«Ce sera borderline. Si je ne réussis pas, j'enverrai mon garçon demain, il passera la nuit ici (rires). Il me semble qu'il y a d'autres mesures qu'on aurait pu prendre pour simplifier les choses, par exemple pour le renouvellement de passeports pour les résidents canadiens ou encore pour les demandes pour enfants. Ça devrait être fait par Internet et que ce soit automatiquement approuvé plutôt que d'avoir à faire la ligne pendant six ou sept heures. En quelque part, il faut que ça bouge», a-t-il dit.
Malgré le découragement, il affirme que la famille a prévu le coup et qu'elle mettra plutôt le cap sur la Gaspésie si elle n'est pas en mesure d'entrer en sol américain.
Alors que le prix du litre d'essence avoisine les 2,15$, Charles Larivière a pour sa part fait la route depuis Sherbrooke dans l'espoir ultime de réussir à faire une demande de renouvellement en personne et obtenir le précieux document bleu avant son départ à Old Orchard, prévu ce vendredi. C'est qu'il est toujours sans nouvelles de sa demande initiale effectuée... il y a 88 jours.
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«Je suis arrivé à 7h30 et ça avance quand même bien, mais là ç'a stagné un peu. J'ai fait ma demande en mars, j'ai essayé d'appeler et là la ligne coupait, ensuite j'ai envoyé des courriels mais personne ne me répondait. J'ai décidé d'aller à Laval (au bureau des passeports) mais c'était pire, j'ai attendu toute la journée et je n'ai pas pu passer. [...] C'est quand même plate de voir cela, même si je sais qu'il y a des situations bien pires et que des gens veulent par exemple quitter le pays pour aller voir leur famille pour des raisons de santé. Ce n'est pas une question de vie ou de mort, mais avec la COVID, on a hâte de voyager», a-t-il raconté.
Après s'être fait fermer la porte quasi au nez vendredi dernier au bout d'une attente de plus de deux heures à l'extérieur, Huberman tentait de nouveau sa chance lundi, l'air demi-optimiste, demi-découragé. Il affirme qu'en arrivant sur place à 6h30, quelques personnes s'y trouvaient déjà.
Invité à un mariage à Boston à la fin juillet, il doit renouveler son passeport, une mission passablement plus complexe qu'anticipé, comme des milliers d'autres personnes.
«Pour l'avoir rapidement, il faudrait que je leur fournisse des dates précises, mais en voyageant en voiture, il faudrait que je leur envoie la carte d'invitation (comme preuve)», affirme-t-il.
À son avis, les services actuels sont fort insuffisants pour combler la totalité des demandes et le fédéral aurait dû mieux anticiper cette situation avec la levée de plusieurs restrictions.
«Il y a la pénurie (de main-d'œuvre) oui, mais il faudrait aussi agir avec bien plus d'efficacité dans la délivrance du service», lance-t-il.
Réactions à Ottawa
Pendant ce temps, cette saga des passeports continue de faire réagir sur la colline parlementaire. Lundi, c'était au tour du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, interrogé à ce sujet avant la période des questions à Ottawa.
Indiquant que son propre passeport est en règle, il a lui aussi admis que les scènes d'interminables files de gens que l'on aperçoit depuis quelque temps sont inadmissibles.
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«C’est un enjeu pour beaucoup de familles. Les gens regardent l’été qui s’en vient. Évidemment, bonne chose, il y a des gens qui ont choisi de faire leurs vacances au Canada, au Québec. Il y a le ministre du Tourisme qui est là qui passe derrière moi qui est content. Mais d’autre part, c’est sûr qu’il faut régler ça le plus rapidement possible parce qu’évidemment c’est de voir des gens qui sont obligés d’attendre durant la nuit, voire le week-end. Évidemment, ça préoccupe tout le monde. C’est un enjeu auquel je sais que la ministre (Karina Gould) travaille de façon active», a-t-il dit.
Selon lui, il faudra qu'on en fasse plus et qu'on en vienne à des délais plus «raisonnables».
M. Champagne ajoute avoir aussi interpellé le ministre de l'Immigration (Sean Fraser) à ce sujet en lui rappelant que plusieurs événements internationaux attirant des milliers de visiteurs sont prévus cet été au pays et qu'on devra être «capable de gérer cette demande-là».
Sur la sellette en raison de cette crise, la ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Karina Gould, a affirmé à maintes reprises la semaine dernière qu'elle comprenait que les citoyens canadiens soient frustrés et qu'on tenait de trouver diverses solutions pour atténuer cette situation exceptionnelle, dont l'embauche de 1200 nouveaux employés au total.
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«Ces délais d’attente sont loin d’être acceptables. Et nous savons que bien des gens ont été confrontés à des circonstances difficiles et stressantes. C’est pourquoi, depuis l’arrivée de ce défi, j’ai tenu à ce que mon ministère ait comme priorité de régler la situation et d’améliorer les services. Nous examinons et mettons en œuvre toutes les options possibles pour accélérer la réception et le traitement des demandes afin d’aider les Canadiens à obtenir leur passeport en temps opportun, et ce, sans compromettre l’intégrité du service», a-t-elle commenté, précisant que plusieurs employés de Service Canada font des heures supplémentaires ou travaillent les week-ends.
Souhaitant que la situation soit réglée plus tôt que tard mais admettant que cela risque encore d'être long, elle a rappelé que malgré la substantielle hausse de volume, 72% des Canadiens qui font une demande reçoivent leur passeport dans les 40 jours ouvrables et que 96% des Canadiens qui font leur demande en personne dans un bureau spécialisé reçoivent leur passeport dans les 10 jours ouvrables.
«La situation du Canada n’est pas unique. Plusieurs de nos homologues provinciaux connaissent aussi des délais dans le traitement et la délivrance de passeports. En Australie, au Royaume-Uni et aux États‑Unis, le délai de traitement pour un nouveau passeport est respectivement de 6, 10, et jusqu’à 11 semaines. Dans le contexte canadien, les échéances actuelles dépassent nos normes», a précisé le ministère.
Selon le ministère, Service Canada a délivré en l'espace de 80 jours (entre le 1er avril et le 19 juin) presque 408 000 passeports partout au pays et on anticipe que de 3,6 à 4,3 millions seront produits au total au cours de l'année 2022-2023, soit jusqu'à trois plus que durant la même période l'an dernier. En 2020-21, à peine 363 000 demandes avaient été reçues.
Depuis le 1er avril, 221 000 visites ont été comptabilisées dans les centres de services, en plus de 7,5 millions d'appels téléphoniques pour des renseignements.