Chronique|

Cessons de dormir au gaz... naturel

Le nombre de nouveaux branchements double d’année en année, passant de 234 en 2017, à 463 en 2018, pour atteindre un sommet de 711 en 2019. Et rien n’indique un ralentissement: Gazifère a dans ses cartons un projet d’expansion jusqu’à Thurso, projet financé généreusement par le gouvernement du Québec

CHRONIQUE / Pardonnez-moi le jeu de mots facile, mais on dort au gaz en Outaouais. On dort au gaz naturel.


À l’heure de l’urgence climatique, des villes à travers le monde interdisent désormais les nouveaux branchements au gaz naturel responsables de l’émission de milliers de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.

Aux États-Unis, des dizaines de villes ont interdit le raccordement de nouveaux bâtiments au réseau de gaz naturel, rapportait récemment Le Devoir. New York, San Francisco, Seattle, Berkeley sont allés dans ce sens.

Pendant ce temps, en Outaouais, Gazifère continue d’effectuer des centaines de nouveaux branchements au gaz chaque année, dans un réseau de distribution qui couvre notamment Gatineau et Chelsea.

Loin de ralentir, la tendance à se brancher au gaz naturel s’accélère en Outaouais.

Si je me fie aux derniers chiffres de la Régie de l’énergie, le nombre de nouveaux branchements double d’année en année, passant de 234 en 2017, à 463 en 2018, pour atteindre un sommet de 711 en 2019. Et rien n’indique un ralentissement: Gazifère a dans ses cartons un projet d’expansion jusqu’à Thurso, projet financé généreusement par le gouvernement du Québec…

Tout ça à l’heure de l’urgence climatique, alors que les experts du GIEC appellent les gouvernements de tous les pays à intensifier les mesures pour réduire les émissions de GES dans l’atmosphère.

Alors je pose la question: qu’attendent Gatineau, Chelsea et les autres villes de l’Outaouais pour interdire les nouveaux branchements au gaz naturel alors que l’électricité, 200 fois moins polluante que le gaz, est largement disponible?

C’est une question que des environnementalistes allumés commencent à se poser sérieusement. Mathieu Charron, un prof de l’UQO, essaie d’éveiller l’opinion publique à cet enjeu au sein d’une coalition d’intellectuels et d’écologistes. Il a également amené le sujet à la commission de l’environnement de Gatineau où il siège en compagnie de la mairesse France Bélisle.

L’opinion publique, remarque M. Charron, s’est indignée des émanations polluantes produites par l’ancien dépotoir Cook à Gatineau. Or les nouveaux branchements au gaz naturel en Outaouais ajoutent l’équivalent d’un nouveau site Cook à tous les deux ans, a-t-il calculé, avec des conséquences majeures sur l’environnement. 

Avec raison.

La Ville de Gatineau s’est donnée comme objectif d’assurer une «transition douce» vers un parc immobilier carboneutre d’ici 2050. Dans son plan climat, elle indique que les émissions de GES peuvent être réduites «drastiquement» grâce à la conversion des systèmes de chauffage vers l’électricité.

Par contre, en entrevue, la mairesse France Bélisle ne m’a pas semblé très pressée d’interdire les nouveaux branchements au gaz naturel. C’est un enjeu qui sera étudié par le futur bureau de la transition écologique de Gatineau, promet-elle cependant.

Au Québec, bien des villes craignent d’interdire carrément les nouveaux branchements au gaz naturel de peur de se faire poursuivre, rapportait Le Devoir. Énergir ou Gazifère pourraient contester l’interdiction en invoquant leur «obligation de desservir» en vertu de la Loi sur la Régie de l’Énergie.

«Si jamais ça arrive, cette réglementation, il nous faudra évaluer si on la suit ou si on la conteste, confirme d’ailleurs Jean-Benoit Trahan, directeur général de Gazifère en Outaouais. Mais ultimement, on a le droit de desservir dans l’optique de répondre à la demande du consommateur.»

Les villes québécoises pourraient s’éviter des poursuites en réglementant non pas l’accès au gaz naturel, mais les appareils de chauffage eux-mêmes, estiment cependant des experts. Vancouver, qui a déclaré l’état d’urgence climatique en 2020, exige que l’équipement de chauffage des nouvelles maisons soit «zéro émission». Par la bande, on exclut ainsi les branchements au gaz naturel.

En parlant à des intervenants dans le cadre de cette chronique, on m’a fait remarquer à de nombreuses reprises que les enjeux de transition énergétique sont complexes. Que l’électricité, c’est bien beau, mais qu’il est risqué de s’en remettre à une seule source d’énergie. La crise du verglas de 1998, de même que la récente tempête qui a privé des milliers de personnes d’électricité en Outaouais et à Ottawa, en est un rappel brutal.

Il y a de sérieuses questions à se poser avant d’exclure le gaz naturel de l’équation énergétique, plaide Jean-Benoit Trahan de Gazifère. «Au Québec, la transition énergétique a malheureusement été vue comme la possibilité de tout électrifier (…) Si on va trop vite vers la transition énergétique, on va manquer d’énergie au Québec».

Justement, nuance Mathieu Charron, il n’est pas question ici de tout convertir du gaz à l’électricité du jour au lendemain. Seulement de juguler l’hémorragie en interdisant les centaines de «nouveaux» branchements au gaz naturel qui s’ajoutent au réseau chaque année en Outaouais. «Les nouveaux branchements, ça devrait être soit à l’électricité, soit à la biénergie», insiste-t-il.

Et ça, c’est possible.

Même le directeur général de Gazifère, Jean-Benoit Trahan, admet que de cesser de brancher au gaz naturel 500 ou 600 maisons de plus chaque année en Outaouais ne mettrait pas en péril la transition énergétique du Québec. Même son de cloche de la part de Benoit Delage du CREDDO qui admet lui aussi que les nouveaux branchements au gaz dans le secteur résidentiel n’ont plus leur place.

Alors voilà, cessons de dormir au gaz en Outaouais et de faire comme si les changements climatiques n’existaient pas.