Chronique|

Attention à l’arrogance, M. Ford

Le premier ministre Doug Ford et son équipe ont remporté la victoire haut la main lors des élections ontariennes la semaine dernière.

CHRONIQUE / Le verdict de la semaine dernière est clair: Doug Ford et son équipe ont remporté la victoire haut la main.


Le nombre de députés conservateurs élus a augmenté de 76 à 83 et le parti a fait des percées inattendues dans certaines régions, notamment dans le nord et le sud-ouest de la province. De plus, tous les ministres sortants du gouvernement Ford qui se représentaient ont été réélus. Mais ce qui semble être d’excellentes nouvelles à première vue pourrait bien se retourner rapidement contre M. Ford si ce dernier ne fait pas attention.

En effet, bien que le Parti conservateur ait obtenu une majorité de sièges appréciable, il n’a récolté que 41% du vote populaire. Plus d’électeurs ont appuyé des partis plus à gauche que le Parti conservateur. Par ailleurs, on ne peut passer sous silence le nombre historiquement bas d’Ontariens qui ont choisi de voter: le taux de participation a été de 43%, comparativement à 57% en 2018. Il s’agit d’une baisse de 14 points de pourcentage en seulement quatre ans. C’est énorme.

En revanche, avec la majorité de sièges qu’il détient à Queen’s Park, M. Ford n’aura aucune difficulté à faire adopter son programme législatif. Sans oublier que le Parti libéral et le Nouveau parti démocratique n’auront ni le temps ni l’énergie de s’opposer aux initiatives présentées par les conservateurs. Chacun de ces deux partis doit se trouver un nouveau chef. On peut donc se demander qui sera en mesure de rappeler au gouvernement Ford qu’une majorité d’électeurs ne l’a pas appuyé et que plusieurs de ses engagements ne font pas que des heureux. On peut penser, par exemple, à la fameuse autoroute 413 dans la banlieue de Toronto, qui a été sans doute l’enjeu le plus discuté dans cette campagne. Les opposants à ce projet dénoncent vigoureusement son coût et son impact environnemental.

La question plus générale qui se pose est de savoir si Doug Ford aura le «flair» nécessaire pour comprendre les désirs des Ontariens. Par le passé, on a vu que ce flair lui avait grandement fait défaut. Avant la pandémie, le gouvernement Ford faisait face à une très forte impopularité, alors que de nombreuses manifestations avaient lieu pour dénoncer plusieurs de ses décisions. On se souviendra longtemps de ce fameux «jeudi noir» où d’importantes coupes aux services en français avaient été annoncées. Ce flair avait aussi parfois manqué à M. Ford durant la pandémie. Plusieurs sympathisants conservateurs, comme des propriétaires de petits commerces, avaient alors critiqué le peu d’empressement du gouvernement à les aider, surtout financièrement.

On a déjà un indice que le gouvernement Ford n’est pas autant à l’écoute de la population qu’il devrait l’être. Il s’agit de l’élection de Bobbi Ann Brady, une candidate indépendante, le 2 juin dernier. Mme Brady a réussi l’exploit de se faire élire dans Haldimand-Norfolk, une circonscription rurale du sud de la province, qui vote conservateur depuis plus de 20 ans. Elle s’est fait élire alors qu’elle est peu connue du public et n’a aucune expérience précédente d’élue, ce qui est rarissime au Canada. Mme Brady a cependant un atout majeur: elle s’oppose à la décision de Doug Ford d’accélérer la construction de projets résidentiels dans sa région sans respecter les règlements de zonage municipaux. Rappelez-vous qu’il s’agit d’une promesse-phare de ce gouvernement qui veut «réduire la paperasserie» et accélérer les projets de développements économiques. Cette décision ne passe pas dans Haldimand-Norfolk, à un tel point que les électeurs ont préféré l’appuyer pour manifester leur opposition.

Si M. Ford désire que les quatre prochaines années soient moins tumultueuses que les quatre années précédentes, il devra trouver une façon d’écouter les électeurs. Avec 83 sièges à Queen’s Park, il pourrait penser que ce n’est pas nécessaire dans faire plus, mais il aurait tort.