Pour mener à terme l’étude, l’équipe de travail s’est penchée sur les données de l’Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes de 2019, effectuée par Statistique Canada, comme échantillonnage. Cette enquête avait été réalisée auprès d’un échantillon de 6800 jeunes de 15 à 17 ans à forte majorité cisgenres, donc qui s’identifient au genre attribué à la naissance, soit 99,4 %. Le reste de l’échantillon, soit 0,6 % des jeunes interrogés, était des personnes transgenres, s’identifiant à un genre autre que celui attribué à la naissance.
L’étude a révélé que 14 % de l’entièreté des jeunes sondés ont affirmé avoir eu des pensées suicidaires au cours de l’année précédente, et 6,8 % ont déclaré avoir déjà tenté de se suicider. En isolant les résultats obtenus des questionnaires des jeunes transgenres uniquement, l’enquête a mis en lumière que ces jeunes étaient cinq fois plus susceptibles d’avoir songé au suicide, et 7,6 fois plus susceptibles d’avoir fait une tentative de suicide, que leurs pairs cisgenres.
«La transition de l’adolescence à la vie adulte est une période particulièrement angoissante pour toutes les personnes qui la traversent, mais ce sentiment est exacerbé chez les minorités sexuelles et de genre», a expliqué Ian Colman, coauteur de l’étude et professeur à l’École d’épidémiologie et de santé publique de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa et à l’Institut de santé publique de Norvège, à Oslo. «Nos résultats démontrent une hausse dramatique du risque de suicide dans ces groupes. Il faut sonner l’alarme et leur procurer du soutien additionnel», soutient-il.
«Il a été particulièrement alarmant de constater que plus de la moitié des jeunes transgenres avaient sérieusement songé au suicide au cours des 12 mois précédant l’enquête», a renchéri Fae Johnstone, coauteure de l’étude, directrice générale de Wisdom2Action et femme transgenre.
Les personnes se disant attirées par plus d’un genre étaient aussi quant à elle deux fois plus susceptibles que leurs pairs d’avoir déjà songé à se suicider.
Harcèlement en partie en cause
Le fait d'avoir déjà pensé au suicide et l’appartenance à une minorité sexuelle serait lié en partie par le harcèlement en personne et en ligne dont ces jeunes sont victimes, poursuivent les auteurs de l’étude.
«Combinés à des soins d’affirmation de genre, des programmes de prévention du suicide directement conçus pour les jeunes transgenres, non binaires et membres de minorités sexuelles pourraient contribuer à atténuer la suicidabilité au sein de ces groupes, poursuit Fae Johnstone. Le harcèlement fait partie du problème, et c’est pourquoi des programmes de prévention primaire conçus pour sensibiliser la population et promouvoir l’inclusion pourraient atténuer le stress minoritaire qu’éprouvent les minorités sexuelles et les transgenres. Ces jeunes seraient ainsi moins susceptibles d’éprouver des problèmes de santé mentale et d’envisager le suicide.»
Des constatations semblables auraient d’ailleurs été notées dans une autre étude analogue effectuée sur un échantillon représentatif similaire dans une perspective nationale, en Nouvelle-Zélande. L’enquête en était arrivée à un résultat semblable, soit étude que le risque de tentatives de suicide était cinq fois plus élevé chez les adolescentes et adolescents transgenres.
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«Des chiffres familiers», dit Jeunesse Idem
Pour l’organisme Jeunesse Idem, qui milite pour améliorer la qualité de vie des jeunes de 7 à 35 ans de la communauté 2LGBTQIA+, les données révélées dans l’étude sont plus ou moins surprenantes. «Ce sont des chiffres qui sont familiers», a affirmé Stéphanie Meunier, intervenante communautaire de l’organisme.
«Souvent, c’est triste, mais ça prend jusqu’à un besoin d’intervention pour qu’ils aient une référence d’aide. On essaie d’être là avant ça. C’est inquiétant à chaque fois.»
Selon Mme Meunier, plusieurs enjeux peuvent donner une piste de réflexion pour expliquer les statistiques révélatrices de l’enquête.
«On pourrait sans doute attribuer ça, par exemple, au projet de loi 2 [projet de loi québécoise portant sur la réforme du droit de la famille] qui a soulevé les lacunes du système, aux jeunes trans qui ont de la difficulté à se faire accepter dans leur milieu ou à recevoir des soins médicaux adéquats, aussi au niveau de l’intimidation, ou même de la montée de la droite et des politiques ou des lois anti-trans aux États-Unis. Au Canada on est très influencés, surtout en milieu anglophone. Ça fait son chemin ici et ça nous inquiète. Dans un sens ça va de mieux en mieux, mais aussi, ça ne va pas super bien.»
Stéphanie Meunier espère qu’une fois de plus, l’enquête offre comme une opportunité de sensibilisation à la réalité vécue par ces jeunes, surtout dans les moments les plus difficiles. «Pour nous, [cette étude] va être un outil de plus pour démontrer l’urgence d’investir dans les soins de la santé qui sont appropriés, la multiplication des ressources pour les jeunes trans, dans notre cas en Outaouais. Et j’espère aussi que ça va toucher les parents et leur faire réaliser qu’il est important de prendre au sérieux les petits signes qu’on peut voir chez [nos jeunes]. On ne peut jamais prévoir ce genre de choses là, mais on peut être à l’écoute.»
Vous ou vos proches avez besoin d’aide? N’hésitez pas à appeler au 1-866-APPELLE (277-3553), ou encore Tel-Aide Outaouais (819-775-3223) à Gatineau et (613-741-6433) à Ottawa. Du côté d’Ottawa, vous pouvez aussi appeler la ligne de crise en santé mentale d’Ottawa en composant le 613-722-6914. Vous pouvez également consulter le site commentparlerdusuicide.com.