Lorsque l’aide médicale à mourir deviendra une option

 «Je ne baisse pas les bras. J’ai encore [et toujours!] de l’espoir. Je ne suis pas seule. Nous sommes plusieurs à continuer à travailler sur ce dossier afin de faire valoir que l’aide médicale à mourir n’est pas une solution acceptable à la souffrance causée par la maladie mentale.»

CHRONIQUE / Nous avons beaucoup entendu parler de l’aide médicale à mourir (AMM) au Québec ces derniers temps. Le gouvernement a déposé son projet de loi à ce sujet. Il a suivi les recommandations de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie en ce qui a trait à la maladie mentale. Ceci signifie qu’une personne ne peut pas obtenir de l’aide médicale à mourir avec pour seul motif la maladie mentale, du moins pour l’instant.


 Cela pourrait changer, à lire ce que le ministre Christian Dubé a dit à La Presse le 25 mai : «Comme le fédéral n’a pas encore statué sur la question de la santé mentale, nous, on a pris la décision de […] ne pas aller là du tout. Est-ce qu’on y reviendra plus tard lorsqu’il y aura une autre mise à jour? Peut-être, mais en ce moment, ce n’était vraiment pas approprié». Donc, la porte ne semble pas tout à fait complètement fermée.

On a moins entendu parler du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir du fédéral qui se penche actuellement sur la question de la maladie mentale. Contrairement au Québec, le Canada a déjà décidé d’aller de l’avant avec l’AMM pour la maladie mentale dès le 17 mars 2023. Le comité mixte anime une série de consultations avec divers experts afin de les aider à baliser l’aide médicale (AMM) pour la maladie mentale comme seul motif. Il ne se penche donc pas sur l’éligibilité de la maladie mentale pour l’AMM, mais plutôt sur comment l’offrir et l’encadrer.

Le mandat du Comité mixte est pour le moins troublant pour moi, professionnelle en santé mentale vivant avec un trouble bipolaire. Je ne suis pas la seule. Nous sommes plusieurs expert.e.s en la matière à nous exprimer contre l’inclusion de la maladie mentale à l’AMM, et ce, pour plusieurs raisons dont : l’impossibilité de déterminer l’irrémédiabilité de celle-ci, l’impact des déterminants sociaux de santé mentale (ex. : pauvreté, accès limité aux services en santé mentale, stigmatisation) sur le désir de mourir, l’impossibilité de différencier le «désir de mourir» par l’AMM du «désir de mourir» par suicide. Cette dissidence ne semble pas être prise en compte dans le processus décisionnel fédéral.

Du moins, c’est ce que j’ai pu observer lorsque j’ai rencontré le comité fédéral (composé de sénateurs/trices et député.e.s). Deux autres panélistes témoignaient dans le même bloc que moi, une médecin de Vancouver, qui milite en faveur de l’AMM pour la maladie mentale, et un psychiatre de Toronto, qui demande que la maladie mentale soit exclue de l’AMM.

Je m’attendais à être accueillie par un comité adoptant une posture neutre et impartiale prête à entendre des expert.e.s afin de l’aider à nourrir sa réflexion sur le sujet et à prendre des décisions. J’ai rapidement désenchanté. La majorité des questions posées par les membres étaient en faveur de l’aide médicale à mourir. Certain.e.s membres du comité ont même agi de manière condescendante, agressive (dans un cas) et avec indifférence envers ceux qui étaient contre l’inclusion de la maladie mentale. J’avais une forte impression qu’on ne voulait pas entendre ce qu’on avait à dire. Je vous avoue que j’étais abasourdie par ce que j’ai vécu. Il y avait peu, voire pas d’ouverture d’esprit ni de sensibilité de la part de membres que j’ai rencontrés. Cela me préoccupe et me fait s’interroger sur le processus de consultation auquel j’ai participé.

La prudence est de mise

Les dés semblent pipés en faveur de l’inclusion de la maladie mentale à l’aide médicale à mourir au niveau fédéral. Vous allez me dire que le mandat du comité mixte n’est pas de débattre de l’inclusion de la maladie mentale à l’AMM, comme c’était le cas avec la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie, mais plutôt de baliser la pratique. Certes, cela est vrai.

Le problème majeur est que nous avons sauté une étape essentielle, celle de l’éligibilité de la maladie mentale comme seul motif pour l’AMM. Il n’y a pas de consensus actuellement sur ce sujet, ni scientifique ni sociétal. Il reste trop de questions sans réponse. Il y a tellement de choses que nous ne savons pas sur les maladies mentales, leurs manifestations, leurs traitements, leur évolution dans le temps que de se positionner pour l’inclusion est irresponsable. Lorsqu’il est question d’êtres humains, de nos vies et de nos morts, la prudence est de mise. Le Québec a opté pour la prudence.

Le Canada a décidé d’aller de l’avant. Ayant participé aux consultations du comité mixte, j’ai vu vers où se dirige le Canada et personnellement, cela me fait peur. J’espère sincèrement que les travaux de la Commission spéciale vont inspirer la réflexion du comité fédéral. En attendant, je ne baisse pas les bras. J’ai encore (et toujours!) de l’espoir. Je ne suis pas seule. Nous sommes plusieurs à continuer à travailler sur ce dossier afin de faire valoir que l’aide médicale à mourir n’est pas une solution acceptable à la souffrance causée par la maladie mentale. Il y a des solutions qui fonctionnent, elles sont là, elles existent. Il suffit d’une volonté politique de s’y investir.

Si vous êtes suicidaires ou si l’un de vos proches l’est : 1-866-APPELLE

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