Je suis le seul porte-parole officiel de la municipalité, a insisté le maire Guénard, mécontent que mon collègue ait interviewé le conseiller municipal Dominic Labrie sur le développement immobilier effréné au centre du charmant village de Chelsea.
Avant de faire une entrevue avec M. Labrie, mon collègue aurait dû passer par le service des communications, a insisté le maire Guénard. Il a même brandi le code d’éthique et de déontologie des élus municipaux. Le conseiller Labrie ne peut s’exprimer qu’à titre de citoyen et il s’expose à des sanctions s’il ne respecte pas le code!, a encore dit le maire.
Respirons par le nez, et remettons un peu les choses en perspective. S’il fallait que le maire soit le seul élu en droit de s’exprimer publiquement sur les grands enjeux qui touchent sa municipalité, à quoi bon élire des conseillers municipaux? Il me semble que le maire Guénard outrepasse un peu ses privilèges ici.
Oui, le maire est légalement le seul porte-parole de la municipalité. Le seul en droit de s’exprimer au nom de la ville. Le seul à pouvoir signer des documents ou des résolutions qui donnent force de loi aux décisions prises par le conseil municipal. Attention: ça ne veut pas dire qu’il est le seul à avoir le droit de s’exprimer publiquement. Nuance!
Les conseillers municipaux ont toute la légitimité pour se prononcer sur des dossiers connus et de notoriété publique. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont élus: pour défendre non seulement les intérêts de la municipalité, mais également ceux des citoyens de leur quartier.
Dans le cas qui nous occupe, le conseiller Dominic Labrie s’exprimait sur le développement du centre de Chelsea, un sujet qui fait régulièrement la manchette depuis des années. Jusqu’à quel point peut-on permettre la construction de nouveaux projets domiciliaires au centre du village, sans en compromettre pour autant le caractère champêtre?
C’est une question qui a surgi du temps de l’ex-mairesse Caryl Green. Elle ressurgit sous l’administration Guénard alors que le nouveau plan d’urbanisme prévoit un agrandissement du périmètre urbain du centre-ville de 20%. Le conseiller Labrie trouve que c’est trop. C’est son droit le plus strict de l’exprimer.
À plus forte raison quand on sait que M. Labrie représente le quartier 2, le plus touché par l’essor immobilier! Dans son quartier, il y a deux clans: les nouveaux résidents qui veulent plus de services de proximité. Et les résidents de longue date qui s’ennuient de leur quiétude d’antan. Une dualité pas facile à incarner. Le maire Guénard n’est pas sans l’ignorer: c’est lui qui représentait le quartier 2 dans l’ancien mandat.
Sans être avocat, j’ai l’impression que le maire a interprété de manière un peu trop restrictive ses privilèges de «seul» porte-parole de la municipalité dans ce dossier. On n’est pas ici devant des enjeux discutés à huis clos et touchant des enjeux sensibles de ressources humaines ou de nature juridique. On parle plutôt du plan d’urbanisme déposé en public le 28 mars dernier! Il n’y aucun secret là-dedans. Et surtout aucune raison de restreindre le droit de parole d’un conseiller.
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Puisqu’on parle d’éthique et de déontologie dans le monde municipal, je suis tombé sur une nouveauté intéressante en faisant mes recherches pour cette chronique.
Après la commission Charbonneau, Québec a rendu obligatoire une formation en éthique et déontologie pour tous les élus municipaux du Québec. Depuis novembre dernier, les élus municipaux du Québec ont aussi accès à une banque d’avocats spécialisés dans le domaine. Ils peuvent les consulter, aux frais de la municipalité, avant de prendre la parole sur un dossier ou de rencontrer un promoteur. C’est une mesure préventive: ils doivent interpeller l’avocat AVANT de faire une intervention
Voilà un bel outil pour éviter les quiproquos et les faux-pas.
Durant la campagne électorale, à l’automne dernier, M. Labrie avait crié haut et fort qu’il souhaitait mettre un frein sur le développement afin de donner le temps à la municipalité de retrouver son souffle puisque les maisons poussent rapidement dans le village, mais pas au même rythme que les services.
Selon M. Labrie, qui a tenu à faire une sortie dans Le Droit, dans les derniers jours, le nouveau plan d’urbanisme proposé par Chelsea propose des avancées importantes en matière de protection de l’environnement, que ce soit au niveau de la connectivité des habitats ou de la protection des terres à haute valeur écologique. Cependant, la refonte mise de l’avant est davantage un «plan d’urbanisation» qu’un plan d’urbanisme, clame-t-il.
Le plan, qui prévoit l’ajout d’un périmètre urbain dans le quartier Farm Point et qui fera passer le nombre d’unités maximum par bâtiment de 8 à 20 dans le centre de la localité, ne contient «rien pour freiner significativement le développement», déplore l’élu qui espère que la population assistera en grand nombre aux consultations publiques.
«Si on a une maison à ajouter à Chelsea, je comprends que ça doit se faire dans le périmètre d’urbanisation, mais ça ne donne rien d’ouvrir grandes les portes parce que dès que le périmètre urbain va être rempli, que va-t-on faire? On va l’agrandir. Le plan d’urbanisme me pose problème parce qu’on parle de construire 850 nouvelles portes d’ici cinq à dix ans. Ça paraît peu, mais quand on compte 1,3 personne en moyenne derrière chaque porte, ça représente 2000 personnes de plus. C’est comme si on essayait de rentrer la population de Saint-Jérôme ou Granby dans Gatineau, en cinq à dix ans, toute dans le même quartier», lance M. Labrie.
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Une approche régionale réclamée
Chelsea fait fausse route avec la vision qu’elle offre aux citoyens, estime l’échevin du district 2 qui parle d’un «marché de dupe». L’arrivée massive de nouvelles constructions ces prochaines années, encore dans le noyau villageois, risque non seulement d’envenimer les problèmes de circulation et d’accès aux services comme les garderies et les écoles, mais aussi d’accentuer les impacts sur l’environnement.
Si on veut vraiment lutter contre les changements climatiques, la véritable solution est de ralentir notre développement, le temps d’avoir une approche régionale. Les problèmes de densification de Gatineau débordent sur Chelsea.
M. Labrie croit que Chelsea doit assumer qu’elle va demeurer une banlieue et que ses résidents devront toujours se déplacer à Gatineau et Ottawa pour travailler et obtenir des services.
«Si on veut vraiment lutter contre les changements climatiques, la véritable solution est de ralentir notre développement, le temps d’avoir une approche régionale. Les problèmes de densification de Gatineau débordent sur Chelsea», affirme l’élu.
M. Labrie demande notamment au conseil municipal un moratoire sur la construction résidentielle en attendant l’élaboration d’une politique de «droits de croissance», de même que la municipalisation de certains terrains du centre-village à des fins de conservation ou de projets collectifs à faible densité.
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«On doit densifier les noyaux urbains», rétorque le maire
Le maire de Chelsea, Pierre Guénard, est en profond désaccord avec son collègue sur le dossier du plan d’urbanisme. Quand il a appris que Le Droit s’était entretenu avec Dominic Labrie à ce sujet, le premier magistrat était d’ailleurs visiblement irrité et a mentionné à l’auteur de ces lignes qu’il était le seul porte-parole officiel de la Municipalité en vertu du Code d’éthique et de déontologie des élus de Chelsea.
Le maire Guénard rappelle que le précédent plan d’urbanisme de la municipalité datait de 2005 et que les commentaires des citoyens, lors des consultations publiques, seront pris en ligne de compte dans le cadre de l’élaboration finale des règlements d’urbanisme.
«On fait juste mettre la table pour le futur en considérant la protection de l’environnement. Surtout, on veut être capable d’offrir une variété d’offre de logements pour répondre aux besoins de notre population. Des logements abordables et du multi logements, c’est pour nos jeunes familles et pour nos aînés. Présentement, la MRC des Collines-de-l’Outaouais, c’est majoritairement des unifamiliales avec de très grands lots. Ça, c’est de l’étalement urbain. On doit densifier les noyaux villageois pour amener plus de services», dit-il.
Si tout le monde reste sur des terrains d’un acre dans le fond d’un chemin de campagne, on en n’aura pas de services.
Le maire n’est pas d’accord avec l’affirmation du conseiller Labrie selon laquelle Chelsea doit se contenter de demeurer une banlieue d’Ottawa-Gatineau.
«Présentement, nous sommes à augmenter notre offre de services, indique M. Guénard. Nous avons une clinique médicale qui devrait ouvrir à l’automne. Nous avons une pharmacie et des épiceries qui sont locales. On a de plus en plus de sentiers qui sont créés pour améliorer la mobilité active. On a des discussions pour amener Communauto à Chelsea pour réduire la dépendance à la deuxième voiture au niveau des familles. Les gens vont arrêter d’aller à Gatineau et Ottawa lorsqu’on va être capable d’amener les services. [...] Si tout le monde reste sur des terrains d’un acre dans le fond d’un chemin de campagne, on en n’aura pas de services.»