Chronique|

Il y a crise, madame la ministre

La ministre québécoise des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest en compagnie de la mairesse de Gatineau, France Bélisle, en novembre dernier. 

CHRONIQUE / D’après la ministre québécoise des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, l’Outaouais ferait partie des régions «moins touchées» par la crise du logement. Une déclaration étonnante, faite mardi devant l’Assemblée nationale. Elle a fait réagir le député libéral de Pontiac, André Fortin: «D’après moi, ça fait longtemps qu’elle n’est pas venue en Outaouais», a-t-il déclaré, mi-figue mi-raisin, sur les ondes du 104.7. La question se pose, en effet.


Vue de l’Outaouais, la crise du logement n’est pas une vue de l’esprit. À Gatineau, la situation est critique au point où la mairesse, France Bélisle, a jugé bon de convoquer un comité-choc rassemblant plus de 70 intervenants du milieu, début avril. «On est dans les câbles», s’est même alarmée la mairesse, en promettant une action rapide pour combattre la crise.

Le contraste, certains diront la déconnexion, entre les propos de la ministre Laforest et la situation vue de Gatineau est frappant. La mairesse Bélisle doit d’ailleurs rencontrer la ministre Laforest jeudi à Québec pour discuter d’habitation. La conversation promet d’être intéressante. Je donnerais cher pour être la proverbiale petite souris dans la pièce, afin d’épier leur conversation…



L’entêtement du gouvernement Legault à nier l’existence d’une crise du logement au Québec, puis à l’admettre du bout des lèvres, il y a quelques jours, est en train de miner sa crédibilité. Comment faire confiance à un gouvernement pour résoudre des problèmes dont il ne reconnaît l’existence qu’avec réticence?

«Pour nous, il ne fait pas de doute qu’il y en a une, crise du logement, tranche Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). À mon avis, il faut travailler fort pour la nier présentement. Le gouvernement, là-dessus, ne nous impressionne pas trop. La ministre Laforest semblait avoir reconnu que dans certaines villes, il y avait une crise. Puis après, c’était moins clair. Je ne comprends pas trop le raisonnement du gouvernement.»

Moi non plus, pour tout dire.

Le taux d’inoccupation des logements est de 1% en Outaouais.

En Outaouais en tout cas, les chiffres ne mentent pas. Avec un taux d’inoccupation des logements de 1% selon les plus récentes données de la SCHL, Gatineau a replongé bien en deçà du seuil d’équilibre établi à 3% depuis des décennies. Les inondations de 2017 et 2019, plus la tornade de 2018, ont amputé le territoire de Gatineau de milliers de logements. Les mises en chantier records qui ont suivi n’ont jamais compensé totalement la perte des nombreux loyers à prix modiques perdus lors des catastrophes naturelles. Pour les plus démunis de l’Outaouais, la crise du logement est loin d’être moins pire qu’ailleurs…



C’est sans compter les 16 500 Ontariens qui ont migré vers le Québec en 2021, selon la SCHL. Un record des trente dernières années qui vient accentuer la pression sur le marché immobilier de Gatineau. Et je passe vite sur le phénomène des Airbnb présent à Gatineau comme ailleurs au pays, qui vient amputer le marché de quelques centaines de logements sous l’oeil impuissant des gouvernements.

Pour Guillaume Hébert, deux conceptions de l’habitation se sont toujours opposées. Celle voulant que le logement soit un droit fondamental. Et celle voulant que ce soit un moyen d’investissement. Le problème survient quand une approche prend le dessus sur l’autre. «Là, on voit un déséquilibre. L’approche du logement comme investissement prend le dessus. Ça fait que collectivement, les pouvoirs publics sont assez passifs face à la réalité de plein de gens qui n’ont pas les moyens de se loger adéquatement ou de façon abordable.»

Selon l’IRIS, le marché immobilier n’a pas la capacité de se réguler seul, par la seule loi de l’offre et la demande. Il faudra, un jour ou l’autre, une intervention de l’État pour rééquilibrer les forces en présence. À condition, bien sûr, de reconnaître l’existence d’une crise. Bonne chance à la mairesse Bélisle pour en convaincre la ministre Laforest…