Éducation en Ontario: «On ne peut plus fonctionner avec l'argent d'hier ou d'avant-hier»

À quelques jours du dépôt du budget provincial ontarien – le dernier avant les élections prévues dans moins de six semaines –,  les syndicats du monde de l'éducation sont bien loin de lancer des fleurs au gouvernement Ford.

À quelques jours du dépôt du budget provincial ontarien – le dernier avant les élections prévues dans moins de six semaines –,  les syndicats du monde de l'éducation sont bien loin de lancer des fleurs au gouvernement Ford. Au contraire, avec des mots comme «argent recyclé» et «supercherie», ils l'accusent de manipuler les faits lorsqu'il soutient avoir fait des investissements historiques dans le système scolaire et lui demandent de rectifier rapidement le tir. 


À 72 heures du dévoilement du budget par le ministre des Finances Peter Bethlenfalvy, l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) a fait front commun lundi avec la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (FEEO), l’Ontario English Catholic Teachers’ Association (OECTA) et la Fédération des enseignantes/enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (OSSTF/FEESO) pour tirer la sonnette d'alarme et réclamer un rehaussement significatif des sommes concrètement allouées pour la réussite des élèves. 

«La publication anticipée des subventions pour les besoins des élèves pour 2022-2023, lesquelles forment l’élément central du financement des écoles, montre que le gouvernement Ford se prépare à faillir à ses obligations à l’égard des élèves, des travailleuses et travailleurs de l’éducation et de toutes les Ontariennes et de tous les Ontariens avec, encore une fois, un budget insuffisant en éducation. Les élèves ont besoin d’un budget d’éducation qui accorde la priorité à leur santé mentale, à leur bien-être et à leur réussite scolaire, et qui propose un plan de reprise de l’apprentissage robuste et bien financé», de dire Anne Vinet-Roy, présidente de l’AEFO. 

«Prétend investir»

En entrevue, cette dernière ne s'est pas fait prier pour renchérir et expliquer ce qui cloche à l'heure actuelle.

«En gros, ce qui nous préoccupe beaucoup, c'est que ce gouvernement, depuis bon nombre de mois, en fait depuis qu'il est au pouvoir, prétend investir des sommes vraiment extraordinaires en éducation, qu'il est le meilleur sur le plan historique, mais en réalité ce n'est pas vrai. Si on regarde les dépenses des conseils scolaires, la réalité est que c'est souvent des annonces avec de l'argent recyclé. La tendance, c'est qu'il y a eu réduction des investissements, alors que les besoins des élèves augmentent, notamment en santé mentale. Ça prend des ressources adaptées à la réalité de maintenant, on ne peut plus fonctionner avec l'argent d'hier ou d'avant-hier», lance-t-elle, ajoutant qu'on opte souvent pour des solutions qui ne sont que temporaires et non pérennes.

Anne Vinet-Roy, présidente de l’AEFO.

«Tour de passe-passe»

Ses homologues anglophones ne sont pas plus tendres à l'endroit du gouvernement dont le premier mandat achève. 

«Le gouvernement Ford décrit son plan en matière d’éducation comme un “investissement historique”, mais il ne s’agit de rien de moins que d’un tour de passe-passe – une supercherie à peine voilée – qui réinstaure des compressions précédemment mises en place, ne tient pas compte de l’inflation et fait de l’électoralisme sur le dos de la réussite étudiante», indique Karen Brown, présidente de la FEEO. 

Rappelant que l'Ontario a imposé la plus longue période d'apprentissage à distance sur le continent avec la pandémie, les syndicats soutiennent que cela a eu pour effet d'accroître les inégalités et qu'il faut investir de l'argent frais sur le terrain pour pallier cette situation.

Plusieurs demandes

En vue du dépôt du budget jeudi à Queen's Park, les quatre syndicats réclament entre autres unanimement que le gouvernement Ford mette fin aux «compressions insensées» et à son plan de retrancher plus de 12 milliards de dollars sur neuf ans du budget alloué à l'éducation. Ils réclament aussi que la province appuie «un plan de reprise de l’apprentissage robuste et pluriannuel», lequel inclurait un engagement envers des classes de plus petite taille. 

Mme Vinet-Roy rappelle que la réduction de la taille des classes est un enjeu avec lequel on revient à la charge régulièrement et était au menu de la dernière ronde de négociations en 2019 et 2020. 

«Ça prend des ressources autant pédagogiques qu'humaines. Il y a des limites à ce qu'on peut faire humainement parlant dans une salle de classe quand on répond à trop d'élèves. On parle d'une moyenne systémique de 22 élèves à respecter, mais ça varie beaucoup. Certains conseils scolaires dans des secteurs plus éloignés peuvent avoir une moyenne plus basse, alors que dans d'autres, il peut y avoir 37 ou 38 élèves par classe. Pour autant que les chiffres sont dans la moyenne, c'est considéré comme acceptable. Il y a des écarts importants et les conseils scolaires doivent être créatifs, c'est très difficile à gérer. [...] Dans certains coins, on continue aussi de s'attendre à ce que les enseignants enseignent à deux groupes (présentiel et virtuel), alors les deux en souffrent», plaide-t-elle.

Les syndicats exigent également que l'on investisse en termes de santé mentale en contexte scolaire pour répondre aux besoins divers à la fois des élèves et des travailleurs, y compris en faisant ce qui est requis pour arriver à un décloisonnement du curriculum au secondaire, sans compter qu'ils demandent au gouvernement de traiter l’arriéré de 17 milliards de dollars en matière de rénovation et de problèmes de sécurité dans les écoles, ce qui inclut la ventilation des bâtiments. 

«Un échec»

Lui décernant un «échec» pour son travail depuis 2018, l'AEFO réitère qu'elle reproche au gouvernement Ford, en particulier au cœur de la pandémie, d'avoir trop souvent «vérifié de quel côté le vent soufflait» pour guider ses décisions. 

«Nonobstant la pandémie, on a perdu beaucoup d'appuis, de ressources, de financement. Et même pendant la pandémie, il a toujours été en mode réaction. Beaucoup de décisions ont été prises pour des motivations politiques, pour plaire à l'électorat, quand on regarde l'historique. Par exemple, en juin 2021, même s'il ne restait que quelques semaines d'école, nombre d'experts suggéraient un retour en classe mais il (le gouvernement) a dit non car ça aurait retardé le processus de réouverture des commerces», note Anne Vinet-Roy.

Par ailleurs, l'AEFO affirme qu'elle ne se positionne pas, comme à l'habitude, en faveur d'un parti ou d'un autre en vue du scrutin du 2 juin.

«Techniquement, nous sommes non partisans, mais on va aller chercher des alliés. Si le gouvernement actuel n'est pas favorable à ce dont on a besoin, notamment pour ce qui touche les services en français, à ce moment-là on va espérer un changement. Mais s'il décide de nous écouter, de nous consulter, on va rester ouvert. Il faut qu'il y ait une lueur d'espoir», affirme sa présidente.

La convention collective des travailleurs ontariens de l'éducation, y compris des 13 000 membres de l'AEFO, expirera le 31 août prochain.