Un soir, en défilant nonchalamment sur mon téléphone, je tombe sur une autre vidéo humoristique d’une jeune femme qui parle de masturbation. Elle dit que c’est l’idéal lorsqu’on a du mal à dormir. Je rigole un petit coup et je glisse dans les commentaires.
Immédiatement, je suis interpellée par l’un d’entre eux: «mais ensuite, je ressens de la honte en me demandant pourquoi j'ai recommencé», peut-on lire. Plus je descends, plus je vois des commentaires similaires… Ah ouais, on a encore du travail à faire.
En 2018, avec des collègues de l’UQAM à l’ONF, nous avons sorti l’application Clit-moi: un jeu qui met en scène un clitoris en pâte à modeler qui vous apprend quelques trucs sur le plaisir féminin.
Depuis la sortie de ce projet, je me dis tout le temps que si je reparle de ce type de sujet on va penser que je suis «en retard», que ça «a déjà été fait». C’est un gros problème que vivent les journalistes. On s’enferme dans le flot incessant de l’actu et on se dit qu’il ne faut surtout pas se répéter, de peur que les gens nous trouvent «dépassés».
N’empêche que ce que les réseaux sociaux m’ont appris, c’est qu’on a tout intérêt à se répéter. C’est aussi ce que pense la professionnelle en sexologie, Anne-Marie Ménard, qui fait de l’éducation sexuelle sur Instagram et TikTok. Elle compte plus de 150 000 abonnés.
«Ça fait juste montrer qu’on n’a pas encore assez déconstruit les mythes qui entourent la sexualité», déclare-t-elle. Au début de la pandémie, après avoir complété un baccalauréat en sexologie et un certificat en études féministes, elle a lancé @AuLitAvecAnneMarie qui est aujourd’hui devenue son entreprise.
Son contenu est simple, accrocheur et s’adresse majoritairement aux personnes possédant un vagin et à leurs partenaires. Malgré la courte durée de ses vidéos, elle tente de nuancer ses propos afin que tout le monde se sente inclus et représenté. «C’est un casse-tête parce que quand tu as 60 secondes pour parler d’un certain sujet, il faut faire attention aux généralisations, explique Anne-Marie.
Ce n’est pas parce que tu dis «blanc» que «noir» n’est pas valide et vice versa. On essaye de faire ça pour décomplexer, détruire les tabous, mais des fois, donner de l’information peut contribuer à faire sentir quelqu’un moins normal».
Lorsque j’ai consulté ses vidéos pour la première fois, je me suis demandé ce que ça amenait de nouveau. Il y a tellement de comptes qui créent ce type de contenu de nos jours.
C’est en consultant la section commentaire de son TikTok que j’ai compris. «C’est souvent des commentaires qui ne se veulent même pas méchants ou critiques. C’est ce que les gens ressentent vraiment. Pour moi, c’est le reflet d’un grand manque d’éducation à la sexualité dans la société», ajoute-t-elle.
Bien entendu, elle fait aussi face à son lot de trolls. Elle remarque d’ailleurs une grande différence entre les commentaires qu’elle reçoit sur Instagram et sur TikTok. «Les algorithmes sont différents d’une plateforme à l’autre. Sur TikTok, sur la page “pour toi”, on nous impose un peu du contenu même si l’algorithme comprend ce que la personne aime.
«Sur Instagram, j’ai l’impression que l’on choisit davantage le contenu qu’on va suivre. Ça fait que sur Instagram, les interactions sont beaucoup plus positives», explique-t-elle.
Elle se rend compte que parfois, les gens ne sont peut-être pas prêts à entendre ce qu’elle va dire sur TikTok. Ça lui permet tout de même de rejoindre des gens qui, sans ses vidéos, n’ont peut-être pas accès à ces informations.
Masturbation, fluides et plaisir
Ce sont les trois sujets qui font le plus réagir sur la page d’Anne-Marie: surtout les menstruations. «Je me souviens d’un commentaire sur une de mes vidéos sur les menstruations où quelqu’un dit que c’est le sang du diable, raconte-t-elle. Je me suis dit: comment c’est possible d’encore dire ça en 2022. Parfois, c’est dur de ne pas juger les gens qui font des commentaires comme ça quand on est informé sur le sujet, mais encore une fois, ça montre juste un manque d’éducation.»
En plus des commentaires d’une telle violence, la jeune entrepreneuse doit aussi se battre contre les lignes de conduite des différentes plateformes. Dans leur soi-disant lutte contre la pornographie, les réseaux sociaux bloquent le contenu éducatif sur la sexualité de beaucoup de créateurs et créatrices.
«Je me censure un peu dans le sens où au début j’écrivais les mots pour ce qu’ils sont, mais maintenant j’utilise des astuces comme écrire “sexe” avec des 3 à la place du e», dit-elle. Ce sont des pratiques très répandues pour contourner les règles très strictes et parfois arbitraires des différentes plateformes.
Ce que me prouve cet échange, c’est qu’il faut faire attention de ne pas s’enfermer dans son niveau d’expertise. Ce n’est pas parce que notre entourage est informé sur un sujet que les autres le sont tout autant.
Il y a encore beaucoup de travail à faire en éducation sexuelle au Québec et ailleurs. Ne tenons jamais pour acquis que les autres savent. Souvent, les gens n’ont jamais eu l’occasion de poser des questions, de s’exprimer.
Nous n’avons pas tous et toutes l’envie ou la vocation d’éduquer les autres et ceci ne doit surtout pas devenir une charge qui repose sur les épaules de minorités.
Mais Anne-Marie m’a rappelé d’être bienveillante. La section commentaire sur les réseaux sociaux devient trop souvent un espace où les gens viennent y déverser leurs colères et leurs craintes. On ne peut pas sauver tout le monde, mais si ce type de vidéo vient en aider quelques un(e)s, c’est un bon début.