Comme beaucoup d’ados de son âge, Léonard joue pas mal aux jeux vidéos. Du coup, il suit pas mal de streamers (des gens qui jouent en ligne en se filmant en direct et qui attirent un large public sur des plateformes comme YouTube, Twitch et Discord). Sans surprise, la majorité de ce contenu francophone est produit par des streamers originaires du vieux continent. Ces personnalités publiques parlent, oui, de jeux, mais aussi de leurs vies personnelles, de divertissement, d’actu, ou même de politique. Ceci explique pourquoi l’algorithme de Léonard a commencé à lui proposer des vidéos qui touchent à la politique française, et pas n’importe lesquelles…
Voyez-vous, durant ces élections, Éric Zemmour (candidat tellement à droite qu’il rafle le mur) et Jean-Luc Mélenchon (candidat très très à gauche reconnu pour ses montées de lait) ont pété des scores sur les réseaux sociaux.
Le journal français Le Monde a sorti il y a quelques semaines le résultat de leur «Minuteur», un outil qui «depuis le 1er janvier [comptabilise] le temps de parole et l’audience des candidats à l’élection présidentielle sur les deux principales plates-formes vidéo qui les accueillent : YouTube et Twitch». Constat: «À eux seuls, Jean-Luc Mélenchon (9,3 millions de vues, 19 %) et Éric Zemmour (7,9 millions de vues, 16 %) captent plus d’un tiers (35 %) de l’audience générée par les campagnes des 12 candidats».
Sur TikTok, la présence des deux hommes était tout aussi impressionnante, surtout celle de Mélenchon. Il est vrai que je suis franco-québécoise (ça explique les «du coup»), alors je suis particulièrement ciblée par les contenus français sur mon fil, mais jusqu’au Québec, les deux hommes ont fait du bruit.
«[Mélenchon] comprend les codes des différents réseaux sociaux, il y investit du temps sur le long terme et la structure de son parti fait en sorte qu’il est capable d’alimenter ses militants en contenu et que les militants, eux-mêmes, ont beaucoup tendance à relayer. Ça fait un parti qui est super fort sur les réseaux sociaux», explique la post-doctorante qui effectue ses recherches sur la politique et internet à Toulouse III, Marie Neihouser. Chez le candidat de droite, on observe aussi une base militante ultra motivée qui sait comment utiliser les réseaux.
La campagne sur les réseaux, ça marche?
Oui et non… On le voit après le premier tour, Mélenchon a fait un très bon score (21,95%), mais ce sont tout de même Emmanuel Macron (27,84%) et Marine Le Pen (23,15%) qui passent au deuxième tour. Éric Zemmour, lui, n’a accumulé que 7,7% des votes alors que sa présence accrue en ligne aurait laissé prédire le contraire.
«Même si on a l’impression d’avoir une avalanche de contenu numérique, les gens qui vont consommer du contenu politique en ligne fait par les militants sont eux-mêmes militants et très intéressés par la politique», indique Marie Neihouser. Selon elle, ce n’est pas avec les réseaux que les politiciens convainquent les citoyens et ils en ont bien conscience. Au Canada, on peut aussi noter la présence notoire de partis comme Québec Solidaire ou le NPD sur les réseaux. Pourtant, ils ne sont pas les partis qui font les meilleurs scores malgré leur popularité chez les jeunes.
Selon Marie Neihouser, cette popularité n’est pas que due aux réseaux, mais bien à tout le travail que le candidat de gauche fait auprès des classes populaires dans les banlieues depuis des années. «Je ne suis pas spécialiste, mais il y a aussi ce fameux potentiel vote utile à gauche qui a marché», ajoute-t-elle.
En gros, faire le buzz ne suffit pas. Les contenus clivants fonctionnent du tonnerre de dieu sur internet, mais ça ne garantit pas le vote citoyen en fin de compte. Pour les Québécois, ces vidéos de personnages aussi virulents sont très divertissants vu notre culture politique et médiatique très différente. La présence sur les réseaux des personnalités politiques n’est plus qu’un simple atout, elle est primordiale. Par contre, elle ne se traduit pas automatiquement en vote aux urnes.
Marie Neihouser précise également que les élections américaines, qui précèdent souvent les élections françaises, influencent les candidats dans leurs usages du numérique. J’ai bien hâte de voir ce que préparent nos candidats aux élections provinciales cet automne? Se seront-ils inspirés des élections françaises? Dans tous les cas, on se retrouve devant les urnes pour le deuxième tour!