Le barrage de Lac-Simon continue de susciter la discorde

Une photo aérienne du Lac-Simon 

La pression s’accentue sur la Municipalité de Lac-Simon pour que la gestion du barrage du lac Barrière change afin d’éviter que le débit de la rivière de la Petite-Nation, en aval de l’infrastructure, fluctue à des niveaux trop bas en période estivale.


Dans une lettre adressée à l’administration de Lac-Simon ainsi qu’à différentes instances, dont le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, le Club de canot-camping Pierre Radisson, qui regroupe plus de 110 membres dans ses rangs, demande, «pour la survie de la rivière Petite Nation», «un rétablissement de son débit normal» dans le but de protéger la faune et la flore du plan d’eau et d’offrir un accès aux plaisanciers. 

On souligne dans la missive, dont Le Droit a obtenu copie, «l’importance touristique» de cet affluent pour les municipalités situées entre le lac Simon et la rivière des Outaouais.

Construit en 1972, le barrage du lac Barrière «a pour vocation le rehaussement de la surface libre des lacs Barrière et Simon à des fins de navigation estivale de même que du maintien de la circulation et de la qualité de l’eau dans une baie en particulier», peut-on lire sur le site Internet de la Municipalité de Lac-Simon.

En juin 2021, l’Organisation des riverains pour la protection de la rivière Petite-Nation avait fait une sortie publique dans Le Droit pour réclamer des changements dans la façon d’administrer ce barrage à déversoir en béton et en poutrelles de bois qui permet de maintenir le niveau de l’eau assez élevé dans le but d’assurer un passage sécuritaire pour les embarcations circulant sous le pont du chemin du Tour-du-Lac. 

Le  rehaussement du niveau de l'eau des lacs Simon et Barrière a de nombreux impacts sur la vie des populations situées en aval du plan d'eau. 

Un débit minimum réclamé 

Le président du Club de canot-camping Pierre Radisson, Jean-François Venne, dont l’organisme réclame à la Municipalité de Lac Simon qu’elle maintienne le niveau d’eau de la rivière de la Petite Nation à un minimum de 15 mètres cube par seconde, du début du mois juin jusqu’à la fin de septembre, soutient qu’en plus des impacts sur la biodiversité et sur l’environnement, la gestion actuelle du barrage entraîne des préjudices pour l’accès à l’eau. Le débit de 15 mètres cubes par seconde serait un minimum à respecter afin de garantir aux plaisanciers un accès sécuritaire sur la rivière, selon M. Venne.

«Le maire n’a pas de compte à rendre à personne, à part ses propres électeurs. La loi ne lui donne pas d’obligations de respecter les impacts environnementaux ni d’aller consulter la communauté élargie de la rivière en bas», déplore M. Venne.

Ce dernier affirme que l’intégration de la rivière de la Petite-Nation dans le réseau de la future Route bleue de l’association de Canot Kayak Québec est même compromise en raison des problèmes de débit de l’affluent. 

En 2020, la MRC de Papineau avait octroyé un contrat à une firme pour procéder à la caractérisation d’une portion de 57 kilomètres de la rivière et pour l’actualiser le plan d’aménagement pour le développement récréotouristique des sports de pagaie sur ce cours d’eau. 



Selon le  Club de canot-camping Pierre Radisson, un débit de 15 mètres cubes par seconde serait un minimum à respecter afin de garantir aux plaisanciers un accès sécuritaire sur la rivière de la Petite Nation.

À la MRC de Papineau, on indique être en pourparlers avec Canot Kayak Québec pour accélérer les démarches, mais si le projet n’a toujours pas abouti, ce n’est pas en lien avec le barrage du lac Barrière, nous dit-on. «Nous avons toujours l’intention de poursuivre les démarches pour la Route Bleue. Toutefois, nous n’avons pas obtenu encore de résultats à la suite de l’obtention du contrat avec Art 2.0 design», a répondu au Droit Jessy Laflamme, agente de développement rural - volet tourisme pour la MRC.

Au moment d’écrire ces lignes, Le Droit n’avait pas obtenu de retour de Canot Kayak Québec à ce sujet.

La Fondation Rivières demande une «intervention ministérielle»

Par ailleurs, la Fondation Rivières qui «œuvre à préserver, restaurer et mettre en valeur le caractère naturel des rivières» a aussi ajouté sa voix dans le dossier récemment en envoyant le 9 mars une lettre au ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette. 

Le président de la Fondation Rivières, Alain Saladzius, a demandé à Benoit Charette «une intervention ministérielle» pour assurer un débit réservé à la rivière Petite Nation, en aval du barrage opéré par la Municipalité de Lac-Simon».

«Cette situation a de nombreux impacts économiques sur les populations en aval du barrage, ainsi que sur la faune et la flore aquatique de la rivière Petite Nation. En vue de cela, nous croyons qu’un débit réservé devrait être établi et qu’une médiation devrait être déclenchée par votre ministère entre les différentes parties prenantes de la rivière», écrit M. Saladzius dans la missive dont Le Droit a obtenu copie.

Le directeur général de la Fondation Rivières mentionne que son organisme n’a reçu qu’un accusé réception de la part du cabinet du ministre.


La municipalité du Lac-Simon n'entend pas modifier sa gestion de l'infrastructure hydraulique. 

«Des gérants d’estrade»

Pour le maire de Lac-Simon, Jean-Paul Descoeurs, pas question de modifier la procédure en place. La Municipalité applique à la lettre le plan de gestion de l’eau et du barrage établi par des ingénieurs. Le document a été révisé dans les derniers mois, précise le premier magistrat.

«La gestion du barrage, on la fait très bien depuis 1972. Les problèmes ont commencé quand nous avons eu les inondations. C’est depuis ce temps-là que nous avons des gérants d’estrade pour gérer le barrage. On vient de faire produire une étude, qui a été faite par CIMA +, et cette étude nous dit que nous sommes sur la coche pour la gestion du barrage. On a une charte qui nous dit quand ajouter un retirer les billes. Si les gens ne sont pas contents, je ne peux rien y faire», affirme M. Descoeurs.

Si la rivière s’assèche en aval de Lac-Simon, c’est pour des raisons climatiques et non en raison de la gestion de l’infrastructure hydraulique, selon M. Descoeurs.

Construit en 1972, le barrage du lac Barrière «a pour vocation le rehaussement de la surface libre des lacs Barrière et Simon à des fins de navigation estivale de même que du maintien de la circulation et de la qualité de l’eau dans une baie en particulier», peut-on lire sur le site Internet de la Municipalité de Lac-Simon.

Or, ce barrage à déversoir en béton et en poutrelles de bois «situé au sein du bassin versant de la rivière de la Petite Nation au droit de l’exutoire du lac Barrière» suscite la grogne depuis déjà plusieurs années auprès des riverains et municipalités basés en aval de l’infrastructure.

C’est que chaque fois que Lac-Simon, qui gère le barrage, ajoute une poutrelle pour augmenter la quantité d’eau dans ses deux lacs interreliés, le niveau de la rivière de la Petite-Nation baisse.

Il y a trois ans, Dominique Simard, a fait l’achat, avec son conjoint, d’un chalet à Saint-André-Avellin, en bordure de la rivière Petite-Nation. La riveraine se bat depuis ce temps pour que la situation change. 

Fondatrice de l’Organisation des riverains pour la protection de la rivière Petite-Nation, elle déplore qu’un barrage géré mécaniquement puisse encore exister en 2021.

«Le 28 mai dernier, sans avertir les autres municipalités en aval, ils ont ajouté la dernière poutrelle et le niveau d’eau a tellement baissé, peste Mme Simard. On avait l’impression d’avoir une rivière asséchée comme si nous étions en plein mois d’août. Sans penser aux poissons, aux tortues, aux oiseaux aquatiques et aux citoyens qui tirent leur eau de la rivière avec une pompe, ils ont ajouté toutes les poutres. [...] On comprend que Lac-Simon doit répondre aux besoins de ses citoyens, mais on ne peut pas juste penser en nombrilistes et dire qu’on monte le niveau d’eau parce que nous avons besoin d’eau. Nous sommes tous dans le même bateau. Quand il fait chaud au mois de mai, en 2021, tout le monde a besoin d’eau, même les gens en aval. On ne peut pas assécher une rivière comme ça.»

Des propriétaires habitant le long de la rivière de la Petite-Nation en ont ras-le-bol de la gestion du barrage du lac Barrière qui est faite mécaniquement par la Municipalité de Lac-Simon et qui nuit, selon eux, à la faune, la flore et la qualité de vie des riverains qui résident en aval de l’affluent.

Un changement de barrage réclamé 

Mme Simard, dont le regroupement a obtenu l’appui, par voie de résolution, des conseils municipaux de Ripon et Saint-André-Avellin, reproche à Lac-Simon de gérer l’infrastructure hydraulique en fonction des besoins des plaisanciers de l’endroit.

«Ce qu’on veut, c’est un changement de barrage. Ça fait trois ans qu’on se bat pour ça. On ne veut plus de poutrelles. On veut quelque chose de naturel qui va bien répartir l’eau d’un côté comme de l’autre. On ne peut pas continuer à gérer l’eau de cette façon. On met en péril plusieurs espèces animales et c’est la qualité de vie des gens en aval qui est aussi affectée», clame Mme Simard.

Le regroupement de riverains demande aussi que Lac-Simon, qui doit procéder à une étude de son barrage en 2022, tienne compte dans son analyse des impacts environnementaux en aval de l’infrastructure. 

Des décisions basées sur un «plan de gestion»

Le maire de Lac-Simon, Jean-Paul Descoeurs, affirme que son directeur des travaux publics applique un plan de gestion établi par des ingénieurs. Les poutrelles doivent être ajoutées ou retirées, selon des règles métriques précises, en fonction du niveau de l’eau. Les décisions ne sont aucunement basées sur le désir des plaisanciers, assure-t-il. 

«Le lac Barrière, qui fait partie du lac Simon, c’est le poumon du lac Simon et de l’eau potable qu’on envoie en aval. On a la baie Groulx et quelques endroits qui sont des lieux importants pour l’oxygène du lac. Si notre niveau d’eau n’est pas bon à ces endroits-là, on va leur envoyer en bas de l’eau qui n’est pas bonne. [...] On suit le plan de gestion du barrage religieusement. On doit maintenir la qualité de l’eau du lac Simon», se défend le maire à propos de la manière dont est opérée l’infrastructure. 

M. Descoeurs souligne que depuis 2014, le barrage a changé de niveau de sécurité. Les obligations en matière de gestion de la part de la Municipalité ont été modifiées. Le plan de gestion du barrage doit être révisé tous les huit ans. Une étude sur la sécurité du barrage et une révision du plan de gestion sont d’ailleurs prévues en 2022, en fonction des exigences du Centre d’expertise hydrique du Québec et du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

Par ailleurs, lors d’une rencontre initiée en novembre 2019 par Lac-Simon, à laquelle ont pris part les maires de Ripon, Saint-André-Avellin et des intervenants du ministère des Transports, du ministère de l’Environnement et du ministère de la Sécurité publique, M. Descoeurs avait proposé que le barrage soit remplacé par une infrastructure en V qui serait «autogérée» régionalement.

«J’ai proposé un barrage en V et tout le monde a refusé d’embarquer pour nous aider à payer. Nous ne sommes pas pour investir 12 ou 13 millions de dollars tout seuls. On va continuer à la mitaine», lance M. Descoeurs.

«Je comprends la grogne de nos gens qui se retrouvent à ne plus pouvoir puiser leur eau dans la rivière ou qui voient leur quai se retrouver à un endroit qui n’est plus raisonnable parce que le niveau de la rivière a descendu. Malheureusement, on peut réitérer les plaintes, mais ça ne donnera rien», dit le maire de Saint-André-Avellin, Jean-René Carrière.

Les municipalités en aval subissent

Le maire de Ripon, Luc Desjardins, dont le conseil appui l’Organisation des riverains pour la protection de la rivière Petite-Nation, souligne que plusieurs de ses résidents riverains ont subi des dégâts au fil des ans à cause des fluctuations du niveau de l’eau de la rivière causée par la gestion du barrage du lac Barrière. «On a des gens qui prennent leur eau dans la rivière et qui ont brûlé leur pompe. Ça crée beaucoup de mécontentement. Ce qui est bien au moins depuis quelques années, c’est que Lac-Simon nous avertit environ une semaine à l’avance avant qu’ajouter ou de retirer une poutrelle», note M. Desjardins.

M. Desjardins ne voit pas de solution à court terme au problème puisque le remplacement de l’actuel barrage par une infrastructure plus moderne nécessitera d’importants investissements. Ripon a déjà dit non au projet en 2019 et il n’est pas question aujourd’hui de changer d’idée, réitère le premier magistrat.

«Lac-Simon veut qu’on paie une partie, mais ce n’est pas à nous, en aval, de payer pour ça. La Municipalité de Lac-Simon, la richesse qu’elle possède, c’est son lac et s’il n’y avait pas de barrage, peut-être que le lac Barrière aurait l’air d’une rivière et qu’il y aurait moins d’eau dedans. Je comprends que le lac Simon représente un gros moteur économique. C’est une municipalité riche à cause de ses valeurs foncières, mais s’il n’y avait jamais eu de barrage, le lac Barrière serait sûrement plus petit et il n’y aurait pas de passage à bateau entre ce lac et le lac Simon», mentionne M. Desjardins.

De son côté, le maire de Saint-André-Avellin, Jean-René Carrière, semble résigné à vivre avec la situation qui perdure depuis des décennies.

«On subit, hors de tout doute, le niveau d’eau demandé par les gens du lac Simon. Je comprends la grogne de nos gens qui se retrouvent à ne plus pouvoir puiser leur eau dans la rivière ou qui voient leur quai se retrouver à un endroit qui n’est plus raisonnable parce que le niveau de la rivière a descendu. Malheureusement, on peut réitérer les plaintes, mais ça ne donnera rien. C’est un dossier plate et épineux. C’est très difficile pour nous de voir un côté positif quant à la gestion de ce barrage», dit-il.