Kareen Martel : voyage en Laideronnie

Kareen Martel signe <em>Laideronnie</em>. Son premier roman qui porte sur la laideur.

SALON INTERNATIONAL DU LIVRE DE QUÉBEC / Kareen Martel invite les lecteurs de son premier roman dans un endroit où tous ceux qui ne correspondent pas aux standards de beauté vivent secrètement. Là où la société repousse les visages asymétriques et les corps un peu trop maigres (ou trop gros). Sous une pluie de commentaires haineux, à l’ombre des projecteurs. Bienvenue en Laideronnie.


Précisons-le d’entrée de jeu : Kareen Martel ne s’est pas lancée dans l’écriture de Laideronnie pour partir en guerre contre la beauté et ses représentants. Elle a plutôt senti le besoin de créer un ouvrage autour de la laideur et de la relation que la société entretient avec celle-ci.

Ce tout premier livre n’est donc pas un essai, mais bien un témoignage intime. Une porte ouverte sur la façon dont on expérimente le monde lorsqu’on n’a pas un visage aux pommettes saillantes, des yeux de poupée et un petit nez fin.

«J’aime beaucoup la vulnérabilité qu’il y a dans l’autofiction. […] Aujourd’hui, je suis dans la quarantaine. J’ai du détachement par rapport à ce qui s’est déroulé quand j’étais jeune. Je crois que j’ai la bonne distance maintenant pour en parler», explique l’autrice, en entrevue au Soleil

Au fil des 118 pages, Kareen Martel passe ainsi de l’anecdote à la réflexion. Sur les surnoms cruels qu’elle recevait dans la cour d’école, les remarques blessantes de certaines amies ou encore les commentaires désobligeants des garçons. 

«Moi, ça a surtout duré jusqu’à l’adolescence. Parce que j’ai eu une opération à la mâchoire. J’ai fait de l’orthodontie. Je pense qu’après tout ça je pouvais passer pour une “moyenne”. Mais c’est tellement ancré, ça a tellement été fondateur pour mon identité, que je continu de m’identifier comme “laide”. […] 

«Émotivement, je me sens encore comme ça. Je réagis aussi comme ça. Quand les gens me regardent, je baisse la tête, par exemple», raconte la Gatinoise d’adoption, qui combat dorénavant ses réflexes.

<em>Laideronnie</em>, Kareen Martel, 118 pages.

Au-delà des cicatrices profondes, Kareen Martel a tenu à broder son autofiction autour des conséquences de l’intimidation. En plus de la panoplie d’anecdotes, l’autrice, qui a grandi au Lac-Saint-Jean ainsi qu’à Québec, aborde donc également le manque d’estime de soi, les changements d’école, les tentatives de suicide, etc.

«Quand tu te fais humilier en public, un moment donné, de la pudeur, tu n’en as plus vraiment. À quel point je peux avoir plus honte?

«Je me suis dit que puisque j’écrivais sur ce sujet-là, je devais inclure tout ce qui était pertinent. Sinon, ça ne valait pas la peine», confie celle qui tente de faire tomber les tabous autour de ces enjeux. 

Dans son ouvrage, l’autrice propose d’ailleurs de «décoloniser nos regards», trop habitués à un certain type de beauté formatée selon les tendances. Un mouvement qui doit être collectif et inclure les médias ainsi que le milieu culturel, estime-t-elle. 

«Le problème nous est poussé dans la gorge comme s’il était individuel. C’est moi qui suis laide, qui ne suis pas à la hauteur des regards qui se posent sur moi, par manque d’efforts ou en raison de ma nature. […] Alors qu’en fait, la source du malaise se trouve plutôt dans la laidophobie ambiante», écrit Kareen Martel dans Laideronnie.

La diplômée en lettres n’arrive d’ailleurs pas à s’expliquer pourquoi avoir des bourrelets, de grandes oreilles ou un nez bossu fait naître de la haine chez les autres. Tout comme Safia Nolin, qui signe la préface de son roman, l’autrice souhaite «paix et amour à la laideur de ce monde».

De la honte à la fierté

Kareen Martel a déjà, par le passé, refusé un poste d’enseignante au cégep, car elle ne pouvait s’imaginer travailler sous le regard de dizaines de paires d’yeux. 

Depuis les dernières années, son rapport avec son image, la beauté et la laideur s’est toutefois beaucoup amélioré, assure-t-elle. Si elle a consulté des professionnels qui l’ont aidé dans son cheminement, l’écriture de Laideronnie a, elle aussi, été thérapeutique. Elle lui a notamment permis d’observer ses propres failles, sa propre laidophobie.

Son roman témoigne d’ailleurs de cette évolution chez elle : Kareen Martel revendique le droit pour tous d’être «laid» sans en subir de préjudices. Elle est ainsi passée de la honte de ne pas correspondre aux standards de beauté à la fierté.

«Souvent, on dit qu’une femme qui “se laisse aller”, c’est négatif. Comme si elle ne prenait pas soin d’elle et qu’elle manquait de respect aux autres. 

«Moi, je me dis que “se laisser aller”, ça peut aussi être confortable. Ça peut enlever des pressions», estime l’autrice, qui espère être capable un jour d’arrêter de se teindre les cheveux ou de s’épiler les sourcils.

Kareen Martel est toutefois consciente que son discours s’oppose à cet autre courant en vogue qui fait la promotion du maquillage ou encore des chirurgies esthétiques.

«C’est dur comme femme de voir ces deux discours s’affronter. Qu’on aille dans un sens ou dans l’autre, on est jamais correct. Il n’y a pas de bon choix. C’est difficile aussi de départager si on le fait parce qu’on en a envie ou parce qu’on sent le devoir de le faire. 

«Mais je comprends totalement que certaines veuillent aller vers la chirurgie ou le maquillage. À la limite, c’est une forme de protection, une façon d’être acceptée dans le monde. Et il y a des fois où moi aussi j’en ai envie.»

Laideronnie est offert en librairie.

Kareen Martel sera de passage au Salon international du livre de Québec le 7 avril.