Je me souviens qu’à une époque pas si lointaine, la seule idée que des Québécois puissent vivre sans un médecin de famille qui leur était spécifiquement attitré n’aurait jamais passé la rampe.
Nous étions encore très attachés à cette image du bon médecin qui suit toute la famille dans l’intimité feutrée de son cabinet. Il soignait tout le monde, des grands-parents aux petits enfants, en les appelant par leurs prénoms. Quand j’étais jeune, le mien s’appelait le Dr Guertin. Il était déjà vieux, je détestais quand il m’auscultait les oreilles avec la pointe en plastique de son otoscope.
Il y a quinze ans à peine, lors de l’élection provinciale de 2007, l’ex-députée libérale de Pontiac, Charlotte L’Écuyer, avait fait scandale en osant avancer «que ce n’est pas tout le monde qui a besoin d’un médecin de famille». À une époque où au moins 25 000 personnes étaient privées d’un omnipraticien en Outaouais, sa déclaration avait mis les libéraux dans l’embarras. Au point où son chef, un certain Jean Charest, avait dû désavouer les propos de la candidate
Quinze ans plus tard, la déclaration de Mme L’Écuyer n’émouvrait plus grand monde. Le ministre Dubé veut désormais attribuer en priorité des médecins de famille aux personnes qui ont besoin de suivis médicaux serrés, comme les gens âgés ou plus malades. Les plus jeunes et en santé, qui ont besoin d’une consultation de temps à autre pour un mal épisodique, pourraient très bien transiter par le guichet unique de patients orphelins.
L’important, a dit le ministre, est que le guichet dirige rapidement le patient vers le «bon» professionnel de la santé: médecin, optométriste, pharmacien, infirmière praticienne ou autre. Québec mise sur le décloisonnement des professions médicales pour autoriser plus de professionnels à offrir des soins de première ligne, et ainsi d’éviter de trop en mettre sur les épaules des médecins de famille. La pandémie a permis de mesurer les effets bénéfiques d’un tel décloisonnement — entre autre avec la campagne de vaccination, a souligné le ministre Dubé.
De mon point de vue, la révolution est là.
Pas tant dans la création d’un - autre! - guichet unique. Mais dans l’aveu que Charlotte L’Écuyer avait raison. Ce n’est pas tout le monde qui a besoin d’un médecin de famille. L’ex-députée, décédée l’an dernier, aura été l’une des premières à dire tout haut ce que d’autres commençaient à penser tout bas.
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Pour le reste, j’écoutais le ministre Dubé parler d’ouvrir 4000 nouveaux lits au Québec — 2000 en construisant ou rénovant des hôpitaux, et 2000 autres en ajoutant du personnel soignant. Je l’écoutais promettre de faire du réseau de la santé un «employeur de choix». En plus des primes déjà accordées aux infirmières, il promet des conditions de travail plus attrayantes et la fin des tant décriées heures supplémentaires obligatoires. En Outaouais, ce sont des mesures qui pourraient aider à endiguer l’exode d’infirmières vers le réseau ontarien de la santé.
J’écoutais le ministre Dubé parler de «décentralisation» moins de dix ans après la réforme «centralisatrice» de son prédécesseur à la Santé, Gaétan Barrette. Dieu merci, il ne se lancera pas dans un autre grand brassage de structures. Il mise plutôt sur l’«exécution» et la «mobilisation» des acteurs de la santé.
En Outaouais, le ministre devra aussi s’assurer de mobiliser la communauté derrière son plan santé. Depuis quelques semaines, le dossier du futur hôpital de 600 lits a plutôt semblé dresser une partie de la communauté contre le gouvernement du Québec. Au point où le ministre régional Mathieu Lacombe a lancé un appel à l’ouverture d’esprit, cette semaine, devant la communauté d’affaires gatinoise.
Le ministre Dubé a promis de confondre les sceptiques avec son plan santé. En Outaouais, les gens ne demandent pas mieux. Confondez-nous, monsieur le ministre!
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