Un changement de culture

La ministre Ginette Petitpas Taylor

À VOUS LA PAROLE / Le 1er mars dernier, la ministre Ginette Petitpas Taylor a rendu publique la dernière mouture du projet de loi modifiant la Loi sur les langues officielles du Canada.


Ce projet de loi n’est pas parfait, mais il propose une réécriture intéressante des positions fédérales en matière de langues officielles.

En autres, il y a lieu de souligner que le projet de loi prévoit que les juges de la Cour suprême du Canada devront être en mesure de comprendre le français sans l’aide d’un interprète, ce qui constitue une belle avancée, espérée depuis longtemps.

De plus, le Commissaire aux langues officielles pourra conclure des accords de conformité, rendre des ordonnances dans certains cas, avoir recours à certains modes substitutifs de règlement des différends et même imposer des sanctions administratives pécuniaires à diverses entités.

Le projet de loi s’inscrit, autant que possible, sur fond de collaboration fédérale-provinciale/territoriale.

Il oblige le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à adopter une politique en ce qui touche l’immigration francophone, avec des objectifs, des cibles et des indicateurs.

Le projet de loi consacre le rôle du ministre du Patrimoine canadien quant à la progression vers l’égalité des deux langues officielles, tout en prévoyant un rôle majeur pour le Conseil du trésor à l’égard de l’application de certaines parties de la loi, de l’évaluation de programmes, de l’information au public et du respect de différents principes, instructions et règlements.

Mais ce qui est vraiment au cœur du projet de loi, ce sont les différents engagements du gouvernement fédéral, dont celui de favoriser l’usage du français et de l’anglais dans la conduite des affaires extérieures du Canada et celui de protéger et de promouvoir le français au pays.

Sur cette dernière orientation en particulier, soulignons que le projet de loi mentionne expressément ce qui suit: «le gouvernement fédéral, reconnaissant que le français est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais, s’engage à protéger et à promouvoir le français».

Différentes dispositions du projet de loi prévoient l’adoption de mesures positives par les institutions fédérales pour mettre en œuvre certains des engagements du gouvernement canadien, dont celui concernant la promotion du français.

En ce qui touche cette fois les entreprises privées fédérales, le projet de loi de Mme Petitpas Taylor propose que soit édictée la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, qui prévoit que les consommateurs au Québec auront le droit de communiquer en français avec une telle entreprise et de recevoir de celle-ci des services dans cette langue.

Cette loi prévoit également que les employés des entreprises privées fédérales auront le droit d’effectuer leur travail et d’être supervisés en français, de recevoir toute communication et toute information de l’employeur en français et d’utiliser les instruments de travail et des systèmes informatiques en français.

Cela est loin d’être odieux, bien que certains eurent préféré que les entreprises privées fédérales soient carrément assujetties à l’application de la Charte de la langue française, laquelle va plus loin sur certains points – ou, du moins, ira plus loin à certains égards lorsqu’elle sera officiellement modifiée par le projet de loi n°96 – que le projet de loi de la ministre Petitpas Taylor.

Quoi qu’il en soit, le projet de loi de Mme Petitpas Taylor ne méritait pas les critiques parfois inutilement acerbes dont il a fait l’objet jusqu’à présent. Une fois modifiée conformément au projet de loi en question, la Loi sur les langues officielles s’inspirera d’une nouvelle philosophie et baignera dans une nouvelle culture plus sensible à la fragilité de la langue française au Canada, dont au Québec même.

Certes, nous aurions souhaité personnellement que le principe de la promotion particulière du français figure noir sur blanc parmi les principes d’interprétation de la loi.

Pour le moment, dans le projet de loi, seuls le principe de l’interprétation large et libérale des droits linguistiques, celui de l’interprétation de ces droits en fonction de leur caractère réparateur et la norme de l’égalité réelle, s’y trouvent.

Nous verrions d’un bon œil que le Parlement et le gouvernement du Canada s’engagent formellement à agir de façon à favoriser la sauvegarde et l’épanouissement de la langue française – en tant qu’objectifs essentiels de la fédération canadienne – et de la culture dont elle constitue l’assise.

Nous aurions aussi voulu que des cibles fermes et claires soient établies dans le projet de loi en ce qui concerne l’immigration francophone, dont celle visant le rétablissement du poids démographique de la francophonie. Du reste, il aurait été hautement souhaitable que les «sanctions administratives pécuniaires» soient plus élevées et, de ce fait, plus dissuasives.

Globalement, nous aurions été favorable à une meilleure prise en compte de la spécificité québécoise, comme le proposait le livre blanc qui est à l’origine du projet de loi. Dans cette veine, nous espérons vivement que le projet de loi de la ministre Petitpas Taylor soit modifié de façon à ce qu’on y confirme l’autorité totale du Québec de faire ses propres choix collectifs en matière de langue, dans le cadre de ses compétences constitutionnelles et sous réserve de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (cette dernière disposition établissant une forme limitée, mais néanmoins appréciable, de bilinguisme au Québec et dans l’ordre fédéral de gouvernement).

Surtout, nous appelons le gouvernement du Canada à faire preuve de leadership – même au-delà de la Loi sur les langues officielles – en faveur de l’essor du français, cette langue menacée qui est pourtant encore l’un des piliers du Canada, de sa composition et de sa dynamique sociales ainsi que de son identité.