Ferme Rêveuse: L’ambition canadienne d’un Suisse

La famille Schneider exploite la Ferme rêveuse à Curran, dans l'Est ontarien

« J’ai quitté la Suisse à l’âge de 23 ans en 1993, s’exclame Kornel Schneider, propriétaire de la Ferme Rêveuse, située à Curran dans l’Est ontarien. J’ai annoncé mon départ à ma famille et mes amis seulement un mois avant de quitter le pays. Mon but était de fonder ma ferme, sans aide et influence de leur part. Je voulais écrire ma propre histoire. La réussite ou l’échec, j’en étais le seul responsable. »


Et son histoire, il en trace les contours depuis près 30 ans. Ferme laitière à ses débuts, celle-ci enregistre aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de 1,1 million et est reconnue notamment pour ses poulets élevés en liberté, sans antibiotiques, hormones et sous-produits animaux.

Et pourquoi donc l’Ontario comme terre d’accueil ? Sans hésitation, celui qui a grandi sur une ferme laitière affirme que le Canada est fort convoité par les fermiers européens, notamment pour l’espace, la stabilité et, surtout, les prix abordables qu’on y trouve. 

Son coup de cœur pour la province vient d’ailleurs d’une expérience de travail en 1988 à South Mountain, au sud d’Ottawa, sur une ferme dirigée par des Suisses.

Un bienfaiteur vient en aide

La même année, il revient à la maison et, autour de lui, on s’intéresse à son aventure agricole canadienne. Il est alors invité à donner une conférence devant 50 personnes dans un hôtel. 

À sa grande surprise, plus de 200 personnes se pointent à l’activité. Il fera alors la connaissance d’un bienfaiteur qui l’aidera à réaliser son rêve.

« Ma présentation a séduit un homme très riche qui venait d’acheter une ferme au Québec avec son « argent de poche », affirme-t-il en riant. Il a mis son bâtiment en garantie pour financer l’achat de ma ferme laitière à Curran au prix de 650 000 $. J’ai moi-même investi 50 000 $. À l’époque, j’étais le premier Suisse à débarquer dans le coin. Aujourd’hui, à quelques kilomètres autour, il y en une centaine. Beaucoup d’entre eux arrivent ici bien nantis et avec beaucoup d’expérience, ce qui n’était pas mon cas. »

Seul et célibataire, il s’attèle à la tâche. Heureusement, l’ex-propriétaire lui donnera un coup de main pendant presqu’un an pour assurer la transition. Avec 75 vaches laitières, le chiffre d’affaires s’élève alors à 360 000 $ par année. L’objectif est de réduire son empreinte carbone et de continuer à produire du lait à faible coût.



Aujourd’hui, j’ai 170 vaches qui sont libres d’aller où elles veulent, dans les champs ou à l’intérieur. Elles sont nourries à l’herbe, donc on produit moins de lait, mais celui-ci est plus sain. C’est la même chose avec les 3000 poulets et les 950 poules pondeuse de la ferme.

Korel Schneider et son épouse Olga posent en compagnie de leurs quatre enfants.

Sensibiliser la population

C’est en 2016 que la volaille a fait son entrée à la ferme, située dans un cul-de-sac, loin des bruits de la circulation, un choix bien réfléchi afin de maximiser le bien-être des animaux.

« À l’époque, je voulais faire la promotion de la qualité de mon lait, dont je suis fier, mais la réglementation de l’industrie m’en empêchait, fait-il valoir. Or, il en était autrement avec le poulet artisanal. Je pouvais mettre en valeur ma philosophie et mes valeurs auprès des consommateurs. On a ajouté le bœuf, le veau et le kombucha. Pour ces produits, je peux contrôler le message. »

La production de lait représente 66 % des revenus, le reste provenant des autres produits vendus directement au client, en ligne ou dans les marchés. Son épouse Olga, qu’il a rencontrée en Ukraine en 1999, joue un rôle majeur dans le succès de l’entreprise et de la vie familiale.

« Durant la pandémie, notre chiffre d’affaires a augmenté de 15 %, souligne-t-il. Les gens se sont mis à cuisiner davantage et à se questionner sur l’origine et la qualité des produits. On peine encore à suffire à la demande, mais il y a encore beaucoup à faire côté éducation. On connaît le nom de son mécanicien, son esthéticienne et son dentiste, mais combien sommes-nous à ne pas savoir d’où vient ce que l’on mange ? Mettez vos bottes et venez-nous voir à la ferme. Pour plusieurs, c’est l’élément déclencheur vers une alimentation plus saine. »

La sensibilisation est au cœur de leur démarche, mais le couple manque de temps pour faire des activités de ce genre à la ferme ou ailleurs. Avec quatre enfants ( 9, 7 et 5 ans pour les jumeaux ! ) et la pénurie de main-d’œuvre, la gestion de l’horaire s’avère parfois vertigineuse.

« On devait accueillir deux familles ukrainiennes, mais tout est tombé à l’eau compte tenu de la situation là-bas, laquelle nous attriste énormément, précise Kornel Schneider. À ce stade-ci, trouver d’autres employés pour l’été sera difficile. Tout ce qu’on peut faire, c’est redoubler d’efforts et garder le cap sur notre objectif, soit de devenir un incontournable dans la région. »